Vassily

 

Je m’appelle Vassily. Vassily Vavilov. Je croupis dans une prison de Novossibirsk, en Sibérie occidentale, depuis le 13 mars dernier. Mon crime? M’être promené sur la place publique en tenant une feuille blanche entre les mains. Je croyais qu’il me restait au moins cette liberté-là, mais non. Les policiers m’ont dit qu’il « était interdit d’avoir une activité publique à Novossibirsk, y compris les piquets de grève d’une seule personne. » (Sic!)

Ce matin, mon avocat m’a annoncé que je risquais une peine de cinq ans de prison. Vous imaginez : cinq ans de prison pour avoir tenu une feuille vierge sur la place publique ! Cela vous en dit long sur notre gouvernement néostalinien. Heureusement, a ajouté mon avocat, vous avez 26 ans et me semblez en bonne forme. Moscou vient de décréter la conscription militaire des hommes de 18 à 30 ans : je pourrais vous éviter la prison si vous acceptez de… Je ne l’ai pas laissé finir sa phrase : « Pas question que j’obéisse à une oligarchie corrompue et que j’aille me battre contre mes frères ukrainiens. Plutôt la prison! Tout comme Jean Pasqualini qui fut  prisonnier de Mao pendant sept ans, je suis prêt à être le prisonnier de Poutine. »

Des proches m’ont rapporté que, depuis le début de « l’opération spéciale en Ukraine » (quel euphémisme!), près de 4 000 personnes ont été arrêtées pour avoir manifesté contre la guerre, contre la censure, contre la perte de nos libertés. Des manifestants ont été arrêtés à Rostov-sur-le-Don, à Nijni Novgorod et dans d’autres villes russes. Osera-t-on interner toutes ces personnes? J’en doute fort, car nos prisons sont déjà pleines à craquer d’opposants au régime dont le plus célèbre, et conséquemment le plus dangereux de tous aux yeux de Poutine, Alexeï Navalny.

Alors que va faire le gouvernement? Je n’en sais strictement rien. Mais du fond de ma cellule, je me prends à rêver que d’autres Russes se lèvent à leur tour pour exprimer pacifiquement, silencieusement, leur opposition à la politique actuelle du régime.

Je rêve que 10 000 personnes déambulent sur la Place Rouge en tenant une feuille blanche entre leurs mains. Que des milliers d’autres font de même à Saint-Pétersbourg, à Ekaterinbourg, dans toutes les grandes villes de Russie.

Je rêve qu’en réaction aux arrestations, la mère et les grands-mères des personnes incarcérées prennent à leur tour une feuille blanche et vont manifester sur la place publique, exactement comme les Mères de la place de Mai en Argentine.

Je rêve que se joignent à elles les épouses, les époux, les enfants, les amis, voire les vétérans de la guerre d’Afghanistan, eux qui croyaient avoir connu la Der des Ders.

Je rêve que les commerces affichent une feuille blanche dans leur vitrine, que les automobilistes collent une feuille blanche sur une vitre de leur véhicule, que les cyclistes accrochent une feuille blanche à leur guidon.

Et je mets à imaginer tout ce qui pourrait s’ensuivre de bon pour la Russie, ma Mère-patrie.


Ne pas avoir froid aux yeux ni se laisser intimider



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