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Affichage des messages du août 13, 2023

L'Atlantide

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  Elle est assise dans l'unique fauteuil de la pièce. Ses yeux humides fixent un monde confus au-delà de la fenêtre, un monde de silence dont elle ne parle plus. Elle a tellement maigri qu'elle semble flotter dans son antique robe turquoise, celle-là même qui, jadis, lui donnait si fière allure. Le tissu avachi dissimule une peau désormais flasque, ainsi que l’épaisse couche-culotte qu'on lui met chaque matin avant de la conduire à son fauteuil. Parfois, elle lève lentement les yeux vers le ciel comme si elle suivait des bulles de savon irisées ou qu’elle regardait ses souvenirs la quitter un à un. Parfois aussi, elle glisse ses mains le long des bras froids du fauteuil en faux cuir et laisse s’échapper un long soupir. Sur quoi ? Sur sa vie passée ? Sur ce mouroir ? Sur le temps qui se traîne ici comme une couronne du Christ sur le corail australien ?   Je me suis mis à frissonner en pensant que c’était ça la vieillesse,

Tout contre toi

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Tout contre toi, je me sens encore en toi. Mon corps lové dans tes courbes douces Se réchauffe au contact de ta peau. Mes menottes caressent ton sein Alors que ma bouche aspire le lait Qui me donne la force de grandir. Mon cœur se calme aux battements du tien. Quand tu chantes et me berces En toute confiance je m’endors. Moi tout contre toi, Nous ne faisons qu’un Avec, aux lèvres, un goût d’éternité.     La vierge et l'enfant II sculpture de Normand Lacroix  

Jusqu'au matin

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La petite fille Tourne en rond dans son lit Incapable de trouver le sommeil. Son père, venu lui dire bonsoir, S’assied à son chevet et Tendrement caresse ses cheveux. Il lui raconte à voix basse L’histoire de la belle princesse Qui croise un jour dans un pré fleuri Un jeune berger portant un agneau. Le père continue de parler doucement Même quand la petite fille n’écoute plus, Rendue dans ce monde où les enfants Ne perdent pas de parent.   Elle rêve, comme à chaque nuit, Que son papa vient la cajoler, Qu’il lui raconte une histoire et Reste auprès d’elle jusqu’au matin. Jusqu'au matin, Joanne Leclerc

À peine 40 ans et déjà froide 1

  Alcool, cholestérol et profiteroles      Nous nous étions retrouvés tous les cinq dans les Hautes Laurentides, plus précisément à l’Auberge des Glaces dont j’avais réservé les quatre chambres pendant trois jours pour fêter en grand les quarante ans de notre amie Mélanie Ladouceur, infirmière spécialisée en soins palliatifs. En plus de la fêtée, il y avait André Létourneau, vidéaste professionnel spécialisé dans les documentaires sur les oiseaux, Pierre Deschamps, ingénieur agronome proche de la retraite, son épouse Agnès Goncourt, philologue et éditrice de livres à compte d’auteur, ainsi que votre humble auteur, Alcide Poireau, éternel célibataire au crâne trop dégarni pour séduire, mais à la moustache suffisamment longue et lustrée pour me permettre de dénouer les intrigues les plus complexes – rappelez-vous le crime de l’Orford-Express – juste en tirant souvent d’un air suffisant sur ses pointes durcies à la cire.           La veille, notre aubergiste, une timide matrone prénom

À peine 40 ans et déjà froide 2

  Où tous témoignent           Je racontai le peu que je savais des événements survenus entre minuit et deux heures du matin et que vous connaissez déjà. S’ensuivirent les témoignages de mes amis et de Brigitte. Comme je ne suis pas ici pour écrire un roman, je vais vous faire un résumé succinct de ce qu’ils ont dit. Agnès, Pierre et André étaient montés dans leur chambre en même temps que moi. Aucun des trois ne se rappelait avoir vu Mélanie les suivre. Brigitte avait rapidement desservi la table, rempli le lave-vaisselle et rangé la cuisine. Elle dit aussi ne pas avoir vu Mélanie après le repas. « À quelle heure t’es-tu couchée, lui ai-je demandé ? ». « J’étais encore debout quand j’ai entendu un grand cri à l’étage. Je suis montée voir ce qui se passait et vous ai trouvé tous les quatre avec le corps de Mélanie étendu sur le lit. ». Le huis clos à cinq devenait franchement étouffant. L’un d’entre nous mentait, et ce n’était certainement pas moi. Comment savoir lequel ? Pourquoi av

Larcins à Malakar 1

            Edmond Bergerac, un grand brun de 32 ans, est originaire de Magog. Tout comme le héros des romans de Ghislain Taschereau, il adore lire des romans policiers et est très sensible à l’alcool.           Depuis avril 2012, Edmond vit en Afrique, plus exactement à Malakar où il enseigne les sciences au lycée Charles-de-Gaulle. Il trouve son stage de coopérant assez pénible : la chaleur humide de l’été est accablante, ses étudiants parlent sans cesse pendant ses cours – le plus souvent dans une langue autre que le français – et la plupart fréquentent une autre école en après-midi, la buissonnière. Ajoutez à cela l’immersion dans une culture du mañana, de l’à-peu-près et du non-dit, et vous aurez une assez bonne idée de l’état de déboussolement de notre homme.           Heureusement, Edmond a rapidement fait un Guy Delisle de lui en partageant sa semaine entre la routine (du dimanche au jeudi) et la découverte du pays (vendredi et samedi).   C’est ainsi qu’après ses cours du

Larcins à Malakar 2

       Marchant le long du boulevard Touré, Edmond repasse en boucle le regard implorant de Léo Nike et la poitrine invitante de sa demi-sœur, Amélie Pouliche. « Il faut, se répète-t-il, autant pour se donner du courage que pour se convaincre de son bon-droit, que je trouve la ou le coupable de ces larcins aujourd’hui même. » Quoi de mieux, convient-il en son for intérieur, que d’aller réfléchir au Verre cassé . Une fois installé à l’ombre du soleil zénithal, il commande à un Boucar toujours fidèle au poste, un gros pichet de sangria. « Pour vous tout seul ? » s’enquiert Boucar, surpris de voir un de ses bons clients vouloir s’enivrer si tôt dans la journée. Edmond fait oui de la tête et l’autre s’en va, toutes savates traînantes, préparer la concoction demandée. Il revient avec le précieux pichet et un verre qu’il dépose sur la table sans piper mot, et quitte sans se faire payer, pour ne pas troubler Edmond dans sa réflexion.           Dès le premier verre, Edmond entreprend de revi

Croisière dans les Caraïbes

              La relâche scolaire était enfin arrivée !   J’avais décidé de la passer dans la mer des Caraïbes à visiter des îles à bord du Costa Concordia II, un luxueux bateau de croisière qui avait remplacé son prédécesseur lamentablement échoué par son capitaine sur un récif de la mer Tyrrhénienne. Comme on me demandait le double du prix pour être seul dans ma cabine, j’avais accepté de partager celle-ci avec un voyageur inconnu en souhaitant in petto qu’il soit muet, ordonné et invisible tout au long de la croisière. J’ignorais que mon vœu se réaliserait au-delà de mes espérances.        Le navire appareilla de San Juan, Porto Rico, et mit le cap sur les Îles Vierges britanniques. Je gagnai ma cabine pour m’installer. Mon coloc d’une semaine n’était pas là. En lieu et place, je trouvai sur sa couchette une petite valise noire avec un autocollant jaune visiblement rédigé à mon intention : « Prière de ne pas déplacer ma valise. Je serai de retour demain vers 9 heures. SVP, je v

La noce de juin

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                      C’est bien ma chance : en tant que garçon d’honneur, mon convoleur d’ami m’a jumelé à sa veuve noire de grand-mère. Ça m’apprendra à n’avoir pas été aussi entreprenant que lui auprès de la gent féminine et à être encore célibataire à 28 ans. Chers lecteurs, abandonnez quelques instants le peintre à sa toile et venez vous placer derrière les mariés : vous verrez que j’ai la même mine d’enterrement que les autres invités. C’est à croire que le mariage ne fait pas le bonheur, quoique je serais d’avis que c’est surtout au peintre qu’il fait défaut. Mais, trève de potinage, je dois assumer mon rôle.             Comme a déjà dit un grand homme, sans doute un philosophe grec très stoïque, contre mauvaise fortune, il faut bon cœur faire (sic) ! Me voilà donc qui demande à Mémé si elle se rappelle de Wilfrid Laurier, car depuis cette année (dois-je vous rappeler que nous sommes en 1935), sa tête, élégamment déposée sur un trois-quart de style Prince Albert, orne nos b

L'enfant qui s'habillait d'ennui

       À la maison, le dimanche, l’enfant que j’étais s’habillait d’ennui.        Le matin, j’allais déjeuner devant deux parents emmurés dans leur silence. Mon père gardait le nez engoncé dans son journal, portant un intérêt inutile aux résultats de la Bourse, lui qui n’avait même pas d’épargne, encore moins de fonds de pension. Ma mère allait et venait dans la cuisine tel un automate, cuisant, servant, ramassant, rangeant sans un mot pour les deux hommes de sa vie, la tête tout à ce que cet emprisonnement familial l’empêchait de faire.        Le repas terminé, je retournais dans ma chambre lire une bande dessinée avec mes deux gros oursons en peluche synthétique que mes parents m’avaient offert quelques années plus tôt en guise de fratrie. Que n’aurais-je donné pour plutôt avoir un frère ou une sœur avec qui parler, jouer, me chicaner même et, surtout, me réconcilier.        Après un diner tout aussi silencieux, j’allais dehors avec mon ballon de foot. Je m’assoyais par terre en

Sortie de scène

            Les applaudissements s’étaient depuis longtemps tus et les sièges rabattus. Une à une, les lumières de la scène s’étaient éteintes. Mais, le chanteur restait dans les coulisses à prolonger son dernier tour de piste.             Déjà cinquante ans de tournées ! Cinquante ans qu’il était reconnu, adulé, désiré même. Cinquante ans que son étoile brillait au firmament de la chanson populaire, lui valant amour et gloire.             Tout maintenant était noir autour de lui. Il entendait bien qu’on s’affairait, qu’on déplaçait des objets. L’air bruissait des allers-retours des techniciens qui rangeaient le décor et des musiciens qui remballaient leurs instruments. Mais, le chanteur ne voyait rien. Que la noirceur d’un futur inconnu.             Puis, la porte de sa loge s’ouvrit et un rayon de lumière dispersa la poussière devant lui. Le rayon devint halo, puis prit l’apparence d’une femme, de sa femme Lucie. Elle savait depuis longtemps combien le chanteur redoutait le der