Larcins à Malakar 1

 

        Edmond Bergerac, un grand brun de 32 ans, est originaire de Magog. Tout comme le héros des romans de Ghislain Taschereau, il adore lire des romans policiers et est très sensible à l’alcool.

        Depuis avril 2012, Edmond vit en Afrique, plus exactement à Malakar où il enseigne les sciences au lycée Charles-de-Gaulle. Il trouve son stage de coopérant assez pénible : la chaleur humide de l’été est accablante, ses étudiants parlent sans cesse pendant ses cours – le plus souvent dans une langue autre que le français – et la plupart fréquentent une autre école en après-midi, la buissonnière. Ajoutez à cela l’immersion dans une culture du mañana, de l’à-peu-près et du non-dit, et vous aurez une assez bonne idée de l’état de déboussolement de notre homme.

        Heureusement, Edmond a rapidement fait un Guy Delisle de lui en partageant sa semaine entre la routine (du dimanche au jeudi) et la découverte du pays (vendredi et samedi).  C’est ainsi qu’après ses cours du jeudi (TGIT - Thank God, It’s Thursday), il déambule sur le boulevard Touré, faisant quelques achats dans les boutiques d’importation – un coopérant a toujours besoin d’une nouvelle chemise ou de nouvelles chaussettes. Il finit généralement ses courses en allant s’écraser à une table sous le grand arbre du resto-bar Le Verre Cassé où, au soleil couchant, il dîne au milieu des pépiements d’oiseaux multicolores et du silence d’une bande de petits singes verts au regard concupiscent fixé sur sa bière et son assiette. « Ne leur donnez surtout rien… » l’a prévenu Boucar, le patron du resto-bar, « … sinon, ils vont considérer votre geste comme une invitation au festin. » Chaque fois qu’il les voit, Edmond pense aux mouettes crieuses perchées sur les tables du McDo de sa ville natale. Il prend alors un air menaçant et leur crie « Wouche ! Wouche, les singes ! », en balançant son avant-bras droit rapidement de gauche à droite, au cas où ces bachibouzouks de macaques ignoreraient le sens premier des onomatopées françaises.

        Au fil de ses déambulations, Edmond a fait la connaissance de Félix Loclaire, le propriétaire du magasin de chaussures « Moi, mes souliers » et, surtout, de sa sémillante vendeuse Amélie Pouliche. Celle-ci ne travaille jamais fort mais sait compenser sa paresse naturelle par un décolleté des plus révélateurs, surtout quand elle s’agenouille devant un client pour lui enfiler la paire de chaussures de son choix.

        Un matin, en mettant le pied dans son magasin, Félix découvre qu’on lui a volé toutes les belles chaussures de basket Nike qu’il avait en vitrine (pas des contrefaçons : de véritables modèles griffés fabriqués en Chine tels Jordan, Fukuoka, Air Max Light et Blazer). Aucune porte n’a été défoncée et le système d’alarme ne s’est pas déclenché. La police accourt, mais faute d’indices, n’arrête que son enquête. Mis au courant du larcin par la rumeur publique, Edmond accroche son étudiant Léo Nike Belouin dans le corridor du lycée et lui demande si c’est lui qui a fait le coup. Faut savoir que la principale activité parascolaire de Léo Nike est de diriger le gang des Lacets rouges du lycée. Prenant un air insulté, Léo jure que ni lui ni aucun de « ses gars » n’a été sur ce coup-là (il dit « ses gars » comme un vrai caïd !). Il offre à Edmond un joint de la paix pour qu’il oublie l’affaire, ce qu’Edmond n’ose refuser de crainte de voir se gâter la gestion, déjà épineuse, de ses classes.

        Le lendemain, Edmond rend visite à Félix et découvre que : primo, seuls les baskets droits avaient été mis dans la vitrine, et deuxio, les baskets gauches reposent toujours dans leur boîte dans l’arrière-boutique. Félix lui raconte avoir congédié Amélie la semaine précédente pour paresse chronique (NDLR : en fait parce qu’elle a refusé de lui faire une pipe) et il la soupçonne de l’avoir volé pour se venger. Par curiosité, mais aussi pour aider son ami, Edmond se rend chez Amélie. Après une vaine résistance à son décolleté suivi d’une petite vite dans le cadre de porte du salon, il apprend des lèvres pulpeuses d’Amélie qu’un dénommé Mario Curie lui avait fait une offre charnelle peu avant son congédiement : « Je t’offre mon beau corps ferme en échange d’une paire de baskets rouges, pointure 10, pour femme ». Après une deuxième petite vite, cette fois-ci sur la table de cuisine, Amélie confie à Edmond que Mario n’a pas été à la hauteur dans l’arrière-boutique – ni ailleurs d’ailleurs - et qu’en conséquence, elle n’a pas honoré sa part du contrat.

        Edmond quitte Amélie en lui promettant de revenir la voir dès qu’il aura de nouveaux développements (Fais-ça vite mon beau brun, lui susurre Amélie en cambrant la croupe devant le miroir pour mieux appliquer le rouge sur ses pulpeuses). Il se rend chez Mario qui lui raconte dans une mousson de larmes que, depuis le début de la saison sèche, sa femme Marie le trompe avec Léo Nike Belouin. Ceci explique cela : il a voulu récupérer l’amour de sa femme en lui achetant au prix de sa vertu les baskets Nike rouges qu’elle se meurt d’avoir depuis que Félix les a mis dans sa vitrine. Edmond écoute poliment, puis s’en va, maintenant convaincu de la sincérité d’Amélie à propos du calamiteux Mario.

        Quelques jours plus tard, c’est au tour de « L’OQL’R », la boutique d’appareils-photo de Bodia Fragme d’être dévalisée pendant la nuit. Encore une fois, aucune porte n’a été forcée et le système d’alarme ne s’est pas déclenché. Assez bizarrement, aucun appareil dispendieux n’a été volé : seuls ont disparu les petits appareils de marque Panasonic (Lumix), Canon (PowerShot) et Sony (CyberShot) que Bodia avait placés loin de toute main cleptomane sur des tablettes en verre derrière le tiroir-caisse.

        Le lendemain, deux policiers viennent interroger Léo Nike à la sortie du lycée et le trouvent en possession d’un Lumix rouge.  Il raconte l’avoir trouvé dans la ruelle derrière la boutique de Bodia en venant au lycée ce matin (NDLR : en fait, c’est Gaby Nado qui l’a trouvé et qui, en bon membre de gang, l’a aussitôt apporté à son chef). Les deux policiers l’écoutent poliment en hochant la tête de haut en bas et en émettant des Humm ! Humm ! pour bien signifier leur incrédulité. Puis, ils lui passent les menottes sans crier gare et, surtout, sans lui lire ses droits. Peu après, Léo Nike est traduit devant le tribunal islamique de son quartier où le cadi de service lui annonce que s’il ne peut prouver son innocence avant le coucher du soleil, il aura Zzitt ! la main droite tranchée le lendemain à l’aube. Léo Nike se tourne vers Edmond, assis sur l’estrade réservée aux dhimmis. Du regard, il lui présente sa demi-sœur Amélie (eh oui !) et implore Edmond de l’aider.

        Edmond pourra-t-il sauver la main de Léo Nike ? Obtenir celle d’Amélie pour toujours, du moins pour la durée de son stage de coopérant ? Et, accessoirement, ramener l’harmonie dans le couple Mario-Marie en découvrant avant le coucher du soleil qui a volé les baskets de Félix et les appareils-photo de Bodia ?

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