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Affichage des messages du novembre 19, 2023

Les enquêtes du concierge. Chap. 1 : Homme à tout faire, ou presque

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    Je m’appelle Bertrand Pivot. Grâce à mes quatre années d’études en histoire de l’art à l’UQAM, j’ai le privilège d’occuper un emploi stable, bien rémunéré et, fait non-négligeable, gratifiant. Depuis quinze ans, je suis concierge dans la résidence pour personnes âgées Les Lucioles , une RPA comme disent les fonctionnaires. Cela vous donne une idée de mon âge, 42 ans, mais non de mon physique que seules ma mère et quelques résidentes trouvent avantageux. Imaginez un homme de taille moyenne, à la barbe grise négligée, presque chauve, avec d’épaisses lunettes de myope et un surplus de poids concentré au niveau du ventre : vous aurez une bonne idée du profil que je n’ai jamais osé afficher sur Tinder. Par conséquent, je suis un célibataire que jadis on qualifiait d’endurci (sic!) et qu’on appelle maintenant un incel , pour « célibataire involontaire » (re-sic!). La résidence compte plus de cent cinquante locataires âgés en moyenne de quatre-vingts ans. Par conséquent, je ne manque

Les enquêtes du concierge. Chap. 2 : L'alliance de madame Poitras

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  Enfin ! J’avais fini de déménager les affaires et les effets de monsieur Norbert Marquis dans l’entrepôt du sous-sol de la résidence. Je pouvais à nouveau vaquer à mes tâches régulières de concierge. C’est ainsi que je m’apprêtais à laver le plancher du hall d’entrée quand une auto de police se gara devant le débarcadère. Deux jeunes policières, plutôt accortes, en descendirent. En me voyant, serpillière à la main, elles ont tout de suite compris que je n’étais pas le directeur de l’institution. Elles m’ont quand même demandé de les diriger vers l’appartement 483, ce que je m’empressai de faire non sans leur demander, chemin faisant, ce qu’elles allaient faire chez sa locataire, madame Yvonne Poitras, une octogénaire en pleine forme. Une simple histoire de vol à domicile, me répondirent-elles, ajoutant qu’elles venaient recueillir la déposition de la dame. Notre arrivée mit madame Poitras dans tous ses états : elle pleura et trembla en leur montrant son coffret à bijoux avec, au

Les enquêtes du concierge. Chap. 3 : L'auto de madame Beaugrand

    Excusez-moi, je suis allé récupérer ma serpillière qu’une âme bien intentionnée avait rangée derrière le bureau de la réception. Je vous disais donc que depuis l’affaire de l’alliance de madame Poitras [1] , tout et chacun vient me voir pour que je retrouve un bien perdu. En bon concierge qui recherche avant tout la tranquillité, j’ai vite appris à me défiler. Comme monsieur Gilles Therrien (appartement 544) est un agent de police retraité de la ville de Laval, je lui ai demandé de m’assister dans mes enquêtes. Il a accepté avec le plus grand plaisir de reprendre du service et même, ce fut son dire, de me servir de force constabulaire si nécessaire. C’est lui qui a retrouvé en un rien de temps le missel de la religieuse sous les partitions posées sur le piano du salon et le béret de M. Gauthier sur la patère de sa partenaire de pichenottes. Monsieur Therrien n’avait de toute évidence rien perdu de son flair légendaire. Aussi, l’autre matin, je fus un peu surpris de le voir entr

Les enquêtes du concierge. Chap. 4 : Mon sac à main, attends que je t'attrape !

    L’histoire que je m’apprête à vous raconter est toute simple, mais elle illustre à merveille le quotidien de la résidence pour personnes âgées où je travaille. Il vous faut savoir que le bâtiment a la forme d’un U géant ouvert sur le nord-ouest, ce qui permet aux personnes qui fréquentent la cour intérieure d’être à l’abri du vent et de se tenir ou non au soleil selon la température et leur bon vouloir. Au centre de la cour se trouvent des allées de pétanque et de shuffleboard. Le long des murs sont alignées des balançoires à quatre-places où, dès que le temps le permet, les résidents aiment se donner rendez-vous pour jaser, tricoter, jouer aux cartes ou, tout simplement, pour observer le va-et-vient dans la cour. L’endroit est si populaire que, par beau temps, il faut soit arriver très tôt pour avoir une place dans une balançoire, soit demander à quelqu’un de nous garder une place. Toujours est-il qu’un beau matin de juin, monsieur Roger Coulombe (appartement 515) s’est présen

Les enquêtes du concierge. Chap. 5 : L'affaire du Rubis disparu

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    J’allais attaquer mon sandwich à la viande fumée végé quand monsieur Jean Doré, de l’appartement 466, a fait irruption dans mon cagibi en faisant des grands gestes comme Gilles Vigneault auquel, d’ailleurs, il ressemble à s’y méprendre : -       Bertrand, Bertrand ! Mon Rubis est disparu. Je n’ai rien contre l’idée d’être dérangé au moment du repas, mais bon sang que j’aimerais qu’on prenne d’abord la peine de me saluer puis celle de   s’excuser pour le dérangement. -     Bonjour monsieur Doré. Assoyez-vous SVP. Je suis à vous dans deux secondes, le temps de prendre une première gorgée de café. -       Vite, vite, Bertrand. Il n’y a pas une seconde à perdre. Pour le respect, on repassera. Je sentis ma pression augmenter. Je pris une grande respiration en récitant mentalement le mantra que m’avait enseignée la directrice, madame Lys-Aimée Quirion Lafleur, le jour de mon entrée en fonction à la résidence :  « Sous des dehors bourrus et impatients, les personnes âgées diss

Les enquêtes du concierge. Chap. 6 : Ma dernière enquête

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   J’avais maintenant deux fins limiers pour résoudre les petits problèmes des résidents : l’ex-policier Gilles Therrien (appartement 544) et madame Lise Bessette (appartement 622). Je pouvais donc ranger mon badge d’enquêteur et me concentrer à nouveau sur l’entretien ménager du bâtiment. Enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que la directrice de la résidence, madame Lys-Aimée Quirion Lafleur, fasse irruption dans mon cagibi pendant ma pause pour me demander une faveur. Bien sûr madame, lui ai-je répondu, comme si un concierge non-syndiqué et facilement remplaçable avait un choix de réponse. Que puis-je faire pour vous? J’aurais besoin que vous fassiez une enquête pour moi. Si j’avais eu un dentier, je parie que je l’aurais perdu tant ma mâchoire a failli se décrocher en tombant. Heureusement, j’ai une excellente hygiène dentaire et une jeune chirurgienne-dentiste dévouée qui voit au bon entretien de ma dentition. Aussi, une fois le choc passé, j’ai pu reprendre rapidement la pa

Les enquêtes du concierge. Chap. 7 : Richard et moi

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    Je me suis longtemps demandé si je devais vous raconter l’histoire de Richard, le locataire de l’appartement 212. Il m’avait certes autorisé à le faire sur son lit de mort, mais tout de même il y avait la question délicate des sentiments que nous éprouvions l’un pour l’autre qui me turlupinait les méninges. Comme cela arrive souvent dans ces situations, ce sont les ragots et les calomnies sur notre relation qui m’ont finalement convaincu de coucher sur papier cette histoire, question de rétablir les faits. Elle a commencé il y a plus de deux ans alors que j’étais toujours concierge à la résidence pour personnes âgées Les Lucioles . Ma patronne d’alors, madame Lys-Aimée Quirion Lafleur, m’a demandé un jour d’aller déboucher l’évier de cuisine de l’appartement 212, ce que je me suis empressé de faire autant par professionnalisme que pour échapper à la routine du lavage des planchers. L’homme qui m’a ouvert était dans la mi-soixantaine : grand, mince, les cheveux bien taillés, cou

L'écrivain a ...

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    L'écrivain a trois sources d’inspiration : L'imagination, l'observation et l'expérience. Lui-même ne sait pas ce qu'il prendra à chacune et à quel moment, parce que chacune de ces sources ne sont pas elles-mêmes très importantes pour lui. Il peint des êtres humains et emploie ses matériaux en les prenant à ces trois sources comme le charpentier va dans son cabinet de débarras pour y prendre une planche qui doit faire l'affaire pour un coin de sa maison. William Faulkner. Faulkner à l’Université. Éd. Gallimard, 1964 William Faulkner (1897-1962), Life Magazine

♪ Bedon Bedondaine ♪

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    Je suis né en septembre 1951. Une vraie bénédiction, ont déclaré mes parents au docteur avant de lui demander de me circoncire pour remercier Dieu d’avoir mis fin à leur souffrance d’enfant. Car, voyez-vous, mes parents m’ont longtemps espéré. Certes, pas aussi longtemps qu’Abraham et Sarah – mes parents étaient tous deux dans la vingtaine quand je suis né -, mais quand même. Après cinq ans de mariage, les entrailles de ma mère n’avaient encore produit aucun fruit. Or, à cette époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le succès du couple, et ipso facto son bonheur, dépendait directement de la taille de sa progéniture. Papa était le septième de neuf enfants, et maman, la deuxième d’une smala égale aux jumelles Dionne qui, je le rappelle, étaient au nombre de cinq. Donc, les deux étaient issus de familles canadiennes-françaises particulièrement heureuses, pour ne pas dire réussies. Aussi, le temps des Fêtes était un véritable supplice pour mes parents. L’un apr

Retour de voyage

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    Le voyage au Portugal avait été très beau et très instructif, j’en conviens. Cependant il avait été aussi très éreintant pour mon vieux corps de septuagénaire : seize jours à grimper et descendre les collines de Lisbonne, de Sintra et de Porto. Seize jours à ne pas comprendre la langue et à ne pas manger à mes heures habituelles. M’enfin, je retrouvais ma maison, mon sweet home, et j’allais pouvoir recharger mes batteries avant d’affronter une autre rentrée scolaire à l’UTA. La première chose que j’ai remarqué en entrant dans la maison, a été l’odeur. Une odeur forte, celle d’un fauve a suggéré mon imagination en se basant uniquement sur mon signe astrologique (je suis un Lion né l’année du Tigre). Plutôt une odeur de renfermé a diagnostiqué mon cerveau une fois l’analyse de mes sensations olfactives complété. J’ai aussitôt regretté de ne pas avoir lavé les planchers avant de partir et de ne pas avoir laissé la fenêtre de la salle de bain entrouverte. Puis, je suis allé voir