Les enquêtes du concierge. Chap. 4 : Mon sac à main, attends que je t'attrape !
L’histoire
que je m’apprête à vous raconter est toute simple, mais elle illustre à
merveille le quotidien de la résidence pour personnes âgées où je travaille. Il
vous faut savoir que le bâtiment a la forme d’un U géant ouvert sur le
nord-ouest, ce qui permet aux personnes qui fréquentent la cour intérieure
d’être à l’abri du vent et de se tenir ou non au soleil selon la température et
leur bon vouloir. Au centre de la cour se trouvent des allées de pétanque et de
shuffleboard. Le long des murs sont alignées des balançoires à quatre-places
où, dès que le temps le permet, les résidents aiment se donner rendez-vous pour
jaser, tricoter, jouer aux cartes ou, tout simplement, pour observer le
va-et-vient dans la cour. L’endroit est si populaire que, par beau temps, il
faut soit arriver très tôt pour avoir une place dans une balançoire, soit
demander à quelqu’un de nous garder une place.
Toujours
est-il qu’un beau matin de juin, monsieur Roger Coulombe (appartement 515) s’est
présenté très tôt dans la cour, je vous dirais vers les sept heures, pour lire
son Journal de Montréal – un des derniers quotidiens papier de la
métropole - dans sa balançoire habituelle. Il n’y avait personne d’autre dans
la cour. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver sur sa banquette un sac à
main bleu royal orné du double S doré du célèbre maroquinier québécois Sylvain
Sutton. M. Coulombe a ouvert le sac non pas pour prendre l’argent qui s’y
trouvait, ce que pas mal de monde de ma connaissance aurait fait, mais plutôt
pour chercher une pièce - carte de crédit, permis de conduire ou carte
d’assurance-maladie - permettant d’identifier la propriétaire dudit sac. Tout
ce qu’il trouva, en plus des habituels accessoires féminins – un rouge à
lèvres, un poudrier doré circulaire, un tube de crème à main parfumée et un
petit paquet de papier-mouchoirs -,
fut une enveloppe cachetée portant un nom qui lui était inconnu et une
adresse autre que celle de la résidence. C’est alors qu’il décida de venir dans
la salle à manger interrompre le déjeuner que je venais d’entamer pour me
remettre le précieux objet.
Après
avoir bien fait sentir à mon interlocuteur qu’il me dérangeait dans l’exercice
de mes fonctions alimentaires, mon premier réflexe a été d’aller porter l’objet
trouvé dans la boîte des Objets perdus (sic !) de la réception. C’était
LA chose à faire dans un tel cas. Malheureusement, mon cœur chevaleresque, sans
doute stimulé par la réussite de mes premières enquêtes, a décidé d’en faire à
sa tête et de rendre lui-même son bien à la princesse de la résidence. Plus
facile à dire qu’à faire mon grand, lui ai-je murmuré in petto.
Ma
première initiative fut de terminer mon déjeuner. Je profitai de ma deuxième
tasse de café – attention, je n’ai pas dit ma seconde comme le commerce
éponyme, car normalement plusieurs autres marquent les heures de mon office –,
j’en profitai donc pour à mon tour fouiller ledit Sutton. Bien m’en prit car je
découvris ce qui avait échappé à M. Coulombe, à savoir la pochette secrète dans
la doublure du sac, et dans ladite pochette une clé gravée du logo de la
résidence. Bingo aurait crié le grand scientifique grec s’il avait connu ce
jeu. Ne me restait plus qu’à associer une serrure à la clé, ce que j’entrepris
de faire méthodiquement appartement par appartement, étage par étage, en
m’annonçant à chaque fois à la porte. Heureusement, je n’eus pas à chercher
longtemps : la clé ouvrit la porte de l’appartement 218, celui-là même
d’Élise Beaugrand, la dame atteinte d’un début de démence dont le fils avait
trois fois saboté l’auto pour qu’elle ne conduise plus[1].
Ne me restait plus qu’à trouver Mme Beaugrand car l’appartement était aussi
vide que les coffres de la ville de Montréal. Je laissai le sac à main bien en
évidence sur la table de cuisine et scotchai une note sur la porte d’entrée
prévenant Mme Beaugrand que sa clé l’attendait à la réception.
J’étais
en train d’expliquer l’affaire à la nouvelle réceptionniste, une millénariale
prénommée Rose-Emmanuelle certes intelligente mais plus captivée par son
cellulaire que par mon histoire, quand Mme Lise Bessette (appartement 622) se
présenta au comptoir pour rapporter la perte de son sac à main. Ah non,
m’exclamai-je, pas « un de trouvé, dix de perdus » ? Un mauvais
pressentiment me fit lui demander la description de son sac à main. Un sac en
cuir bleu royal, me répondit-elle en s’attendant à me voir sortir son bien de
la boîte des Objets perdus. Je vous l’avais bien dit que j’avais eu un
mauvais pressentiment. Quelle est la probabilité que deux femmes perdent le
même jour des sacs à main de la même couleur ? J’allais de ce pas m’acheter un
billet de 6/49 quand j’ai eu un dernier sursaut de curiosité. Votre sac est-il
un Sylvain Sutton par hasard ? Non, répondit-elle sur le ton de celle qui
donnerait gros, y compris son mari si elle en avait eu un, pour posséder un tel
objet.
Il me
restait une question à poser pour résoudre l’affaire : chère Mme Bessette,
auriez-vous par hasard rencontré Mme Beaugrand dans la cour hier ? Oui, me
répondit-elle sans hésitation. Elle était assise dans la balançoire de M.
Coulombe quand je suis passée rejoindre une amie dans une autre balançoire un
peu plus loin. Peu de temps après, elle s’est levée pour venir nous faire un
brin de jasette en attendant son fils qui venait la chercher pour un séjour de
trois jours à la campagne. Quand le fils a klaxonné pour annoncer son arrivée,
Élise s’est levée d’un coup sec et s’est hâtée de rejoindre son fils. Ah, je
comprends maintenant : dans l’énervement elle a pris mon sac plutôt que le
sien qu’elle avait laissé sur la banquette de sa balançoire.
Mme
Bessette avait résolu l’affaire toute seule. Ne me restait plus qu’à la pairer
avec M. Therrien pour les prochaines enquêtes. Le lendemain soir, vers vingt
heures, Mme Beaugrand se présenta à la réception, l’air piteux, pour remettre
le sac à main de Mme Bessette, en échange de quoi la réceptionniste daigna
lever les yeux de son cellulaire pendant quelques instants pour lui remettre la
clé de son appartement. Au cas où vous vous le demanderiez, je n’ai jamais su
qui était le destinataire de la lettre trouvée dans le sac de Mme Beaugrand. Ce
n’était pas de mes affaires, ni des vôtres d’ailleurs.
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