Le bar-lounge de Playa Azul à Cuba

  

À mon arrivée dans le bar-lounge de Playa Azul, tous les regards s’étaient tournés vers moi. Faut dire qu’à vingt-huit ans je portais à merveille le magnifique habit en lin lavé écru qu’une cliente satisfaite avait tenu à m’offrir le mois dernier, ainsi que la fine chemise blanche très échancrée qui mettait en évidence mon teint hâlé par les longues heures passées sur la plage de l’hôtel à surveiller les baigneurs. J’étais le maître-nageur de la place : tout le monde admirait mes pectoraux bien découpés, mes gros biceps et, surtout, mes gluteus maximus très saillants. Les trois chaînes en or que je portais au cou ce soir affichaient mes talents d’artiste du sexe.

Comme j’allais m’asseoir à ma table habituelle près du piano, je remarquai au fond de la salle une dame du bel âge apparemment esseulée. Ses cheveux argentés et ses doigts parés d’or et de diamants éveillèrent aussitôt mon intérêt. Comme je m’approchais pour la saluer, je reconnus la femme en maillot jupette fuchsia qui, plus tôt dans la journée, m’avait longtemps fixé d’un regard concupiscent pendant que je maître-nageais. À l’évidence, la fortunée souhaitait ma compagnie. Pour preuve, son visage s’est illuminé quand j’ai établi le contact. Mieux encore, elle en a perdu tous ses moyens au moment de se présenter. Je, je, je mappe, je m’appelle, Clau, Clau, Claudette a-t-elle bégayé en rajustant sa coiffure d’une main et son balconnet de l’autre.

Ne me restait plus qu’à faire comme mon père et le sien avant lui, soit ramener ma ligne et faire sauter Clau-Clau-Claudette dans mon lit. J’allais y parvenir quand la coquine s’est mise à hésiter : « Euh, je ne sais pas », « Qu’est-ce que le monde va penser? », « Mon Dieu, je n’ai jamais fait ça ». Elle se tortillait sur son siège exactement comme une daurade au bout de la ligne de mon père. La fortunée ignorait que j’avais de l’expérience en ce domaine. Je relâchai quelque peu ma ligne et fit semblant de m’intéresser à la salle. Aussitôt elle se rapprocha de moi et s’excusa pour son comportement. Je ramenai ma ligne un peu plus et attendis. Finalement, mon corps luisant de tant d’efforts a eu raison de ses hésitations.

Claudette m’a suivi docilement jusqu’à ma hutte sur la plage. Une fois sur place, elle entreprit de me déshabiller de ses mains tremblantes. Je la laissai faire, goûtant mon plaisir d’être désiré. Comme elle s’apprêtait à franchir la ligne de l’indécence, c’est-à-dire mon caleçon Calvin Klein, je pris ses mains et les déposai sur mes pectoraux. Puis, tout tendrement, je lui susurrai à l’oreille mon tarif pour la nuit de rêve qu’elle s’apprêtait à passer en ma compagnie. La pauvre ! La passion avait depuis longtemps supplanté sa raison. Elle me tendit son porte-monnaie et me dit sur un ton presque suppliant « Tiens mon beau, prends tout ce que tu veux, y compris moi. Surtout moi ». Je ne me le suis pas fait dire deux fois.

Claudette a passé une nuit merveilleuse. Tant et si bien qu’elle en a redemandé la nuit suivante, puis l’autre et l’autre. Pendant une semaine, j’ai satisfait tous ses désirs, même ceux qu’elle ignorait avoir. Passé ce temps de volupté, elle est retournée au Canada le sourire aux lèvres et une gonorrhée entre les jambes. Pour ma part, je roule maintenant dans une magnifique Impala ’56 rouge décapotable avec, à mes côtés, le pianiste du bar-lounge.




 

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