Émotions à la Quinta da Regaleira
La
Quinta da Regaleira est un vaste domaine qu’un millionnaire du dix-neuvième a
fait aménager sur le flanc d’une colline de Sintra, au Portugal. Je n’étais pas sûr de vouloir visiter cette folie architecturale inscrite au
Patrimoine mondial de l’UNESCO tant mes jambes étaient fatiguées d’avoir marché
pendant deux semaines dans Lisbonne, Porto puis la vallée du Douro. Cependant,
mon chum tenait tellement à cette visite que, plus par amour que par curiosité,
j’ai fini par céder à sa supplique. Je suis allé à la gare de train acheter
deux billets combinant la visite du domaine et le transport en commun pour s’y
rendre, soit l’autobus municipal numéro 934. Tout comme vous, je me suis
demandé comment un village de quelque cinq mille âmes pouvait opérer un si
grand nombre de lignes de transport en commun. M’enfin, nous étions en route et
l’autobus me faisait oublier un moment mes douleurs arthritiques!
Je
n’ai pas du tout regretté ma décision. Pas une miette, comme dit le boulanger.
La visite de la Quinta da Regaleira m’a permis de découvrir que folie et argent
peuvent parfois faire bon ménage. Le palais, rempli de références à l’alchimie,
à la franc-maçonnerie et aux Templiers, m’a rappelé les châteaux de contes de
fée que le roi Louis le deuxième a fait construire en Bavière à la même époque.
Aussi, je me suis demandé s’il n’y avait pas eu un courant architectural
romantique dont on m’avait caché l’existence à l’université.
Alors
que nous errions dans les jardins de la Quinta, mon chum a découvert le Poço
Iniciático (le Puits Initiatique), un grand escalier en pierres s’enfonçant
sous terre, bordé de petites chambres basses ressemblant à des alvéoles et dont
la fonction encore aujourd’hui demeure un mystère complet. Tout au fond du
puits, on devinait la présence de l’eau. Allant contre mon avis et retenant
uniquement ma recommandation à la prudence, mon chum entreprit de descendre
dans le puits.
J’attendis
vainement son retour pendant plus de trente longues minutes à la suite de quoi,
manifestant pour la première fois une sourde émotion qu’on appelle inquiétude,
j’essayai de rejoindre mon Vasco de Gama d’opérette au moyen de mon cellulaire.
En vain : trop courtes, les ondes de mon appareil ne descendaient pas sous
terre. Assis sur un banc de pierre, je rongeais mon frein et mes ongles quand,
soudain, une tape sur l’épaule me sortit de ma deuxième émotion de la
journée : l’anxiété. À la vue de mon chum, une troisième émotion supplanta
la deuxième : la joie des retrouvailles. Je sais, je sais, je suis un être
très sensible : c’est d’ailleurs une des raisons pourquoi on m’apprécie
autant. J’allais laisser éclater une quatrième émotion, soit la colère de ne
pas avoir eu plus tôt de ses nouvelles, quand je remarquai un couple âgé
derrière mon chum. Celui-ci m’expliqua que tous trois s’étaient retrouvés au
fond du puits à suivre une source jusqu’à finalement regagner l’air libre dans
un autre jardin au pied de la colline. C’est à ce moment-là que je remarquai
les souliers mouillés de mes interlocuteurs.
En
compagnie de nos nouveaux amis, lui un économiste breton à la retraite, elle
une reine du foyer atteinte d’Alzheimer, nous avons quitté les lieux. Une fois
rendus à l’arrêt d’autobus, je tiens à préciser qu’il était alors 18 h 30, nous
avons réalisé que nous avions manqué de peu le dernier 934. Eh oui, les
transports en commun s’arrêtent tôt, trop tôt, à Sintra. Nous avons aussi
compris pourquoi plusieurs transporteurs privés attendaient en file
amérindienne en bordure de route. Après quelques palabres sous un chêne-liège,
nous sommes finalement revenus au centre-ville en tuk-tuk électrique. La
journée s’est conclue par un agréable repas arrosé de sangria blanche préparée,
comme il se doit, avec du vinho verde.
Le Puits Initiatique. Source : Wikipedia.org |
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