Vers d'oreille
-
Jacinthe
?
-
Oui
mon trésor !
-
Où
sont les cotons-tiges ?
-
Dans
le premier tiroir de ma table de chevet. Pourquoi ?
-
Je
veux me débarrasser d’un ver d’oreille qui m’a gardé éveillé toute la nuit.
-
…
Ah oui ! Lequel mon amour ?
-
Te
rappelles-tu quand je t’ai rencontré ?
-
Plus
ou moins. Je crois bien mon chéri que j’ai croisé ton regard pour la première
fois mercredi le 12 juillet 1972 au Dairy Queen de la rue Christophe-Colomb,
aux alentours de vingt heures. Tu portais des jeans que tu avais découpé avec
des ciseaux pour t’en faire des shorts, une chemise fleurie très échancrée, des
…
-
OK,
OK Jacinthe, tu as toujours une aussi bonne mémoire. Pour ma part, c’est
beaucoup plus flou. Tout ce dont je me rappelle précisément, ce sont tes beaux
grands yeux bleus. En les voyant, il m’était aussitôt revenu en mémoire un
vieil air de Tino Rossi que ma mère aimait fredonner en régnant sur notre
foyer. C’est justement cet air qui m’est revenu la nuit dernière alors que je
rêvais à toi.
-
Pas
le Tango bleu des années cinquante ?
-
En
plein ça Jacinthe (l’homme se met à chanter):
Tout
le bleu du ciel danse dans tes yeux
Tout le bleu pastel
d’un tango qui chante pour nous deux
Donne-moi ton cœur,
donne-moi ta vie
Revivons le bonheur du jour où je t’ai
suivie…
-
Oh
que c’est adorable ! Tu es toujours aussi romantique. Dire que tu rêves encore
à moi après cinquante ans de mariage. Je suis vraiment chanceuse d’avoir épousé
un homme tel que toi.
-
C’est
ce que mes amis pensent aussi. Ils te surnomment The Lucky Lady. Mais,
il faut que tu saches que j’avais changé quelque peu les paroles.
-
Ah
oui, dit Jacinthe sur un ton qui cachait mal sa curiosité.
-
Oui,
de la même façon que, dans la chanson de Maurice Chevalier, les petits petons
(= pieds) de Valentine sont rapidement devenus les petits tétons de Valentine,
je chantais « Donne-moi ton corps, donne-moi ta vie… »
-
Ah
mon coquin. Je savais bien que tu ne m’avais pas épousé juste pour mes beaux
yeux (rires).
-
Cela
dit, que dirais-tu d’aller prendre une marche jusqu’au parc Lafontaine ?
-
Bien
sûr, mon homme à moi. Avec toi, j’irais au bout du monde.
-
Le
parc me suffira pour aujourd’hui.
Jacinthe prend le bras de son homme et
tous deux se dirigent vers la porte. Avant de sortir, Jacinthe saisit sa canne
blanche de sa main libre.
-
J’allais
oublier la meilleure amie de l’aveugle.
-
….
-
….
-
Au
fait Jacinthe, as-tu un ver d’oreille dont tu n’arrives pas à te débarrasser.
-
Oh
que oui ! J’en ai tout un à part de ça, de répondre Jacinthe en souriant à
pleines dents comme si elle voulait les faire sécher.
-
Quel
est-il si je ne suis pas trop indiscret?
-
Tu
sais bien mon trésor que tu peux tout me demander. Il s’agit d’une chanson des
Trois Accords.
-
Ah
oui, laquelle ? Hawaiienne ?
-
Non
!
-
Saskatchewan
?
-
Non
!
-
Je
l’ai : « Tout nu sur la plage » ?
-
Ben
non, tu ne l’as pas du tout. C’est « Elle s’appelait Serge » !
Et les deux d’éclater de rire.
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