Mon voisin Claude
Depuis
l’été dernier, j’ai un nouveau voisin prénommé Claude. Quand il est venu se
présenter, il m’a expliqué que son prénom lui venait du célèbre cinéaste
québécois Claude Jutra. « Mon oncle Antoine » vous vous
rappelez? Tout comme Québec Cinéma, ses parents ont dû regretter amèrement leur
choix quand les accusations de pédophilie ont commencé à pleuvoir sur la place
publique. Je lui ai suggéré de dire dorénavant que ses parents l’avaient ainsi
prénommé en l’honneur de Claude Léveillé, le grand chansonnier québécois. Par
la même occasion, j’ai aussi appris que mon voisin était monoparental. Il a une
adorable petite fille rousse prénommée Cynthia (avis aux Montréalais : il
n’y a pas d’accent circonflexe sur le « a » de Cynthia).
Vous me
connaissez : je ne suis pas du genre à écornifler mes voisins. Par
conséquent, je n’ai pas demandé à Claude qui était la mère, ni où elle se
trouvait ou pourquoi elle avait abandonné son enfant. Cependant, je suis très
persévérant : chaque fois que j’en avais l’occasion, j’allais le saluer et
piquer une jasette avec lui. Je le renseignais sur les us et coutumes locales
et lui, en échange, m’empruntait des outils qu’il oubliait ensuite de me
remettre. Je pense notamment à mon taille-haies à batterie 24 volts qu’il a
toujours dans son garage et qui ne doit plus lui être très utile depuis l’arrivée
de la neige.
C’est
ainsi que j’ai appris que Claude avait été travailleur agricole dans la vallée
de l’Okanogan (c’est en Colombie britannique pour les ceusses qui se demandent c’est où), que c’est là qu’il avait
rencontré la mère de Cynthia (vous remarquerez que les gens séparés désignent
généralement leur ex au moyen d’une périphrase plutôt que d’utiliser son nom
comme si celui-ci leur rappelait trop de mauvais souvenirs ou pour indiquer la
fin irrémédiable de leur relation – veuillez excuser la longueur de cette parenthèse,
mais il y a longtemps que je voulais placer cette observation dans un de mes
textes). J’ai aussi appris qu’il avait adoré faire de la motoneige dans les
Rocheuses en hiver, et que c’est sa mère qui gardait la petite pendant qu’il
travaillait comme manœuvre non spécialisé pour un entrepreneur local. Pour le
reste, j’ai compris que je devais patienter un peu, le temps que je lui prouve
par ma discrétion qu’il pouvait me faire confiance.
Les
mois chauds qui ont suivi l’arrivée de mon voisin m’ont permis de formuler une
hypothèse très intéressante sur le pourquoi madame avait refusé de suivre monsieur. La
voici : Claude a un caractère très particulier qu’il n’est pas donné à
tous d’apprécier. J’en veux pour preuve le fait qu’il a-do-re le heavy metal.
Je ne parle pas ici de fonte ou d’acier, mais de sons que je n’ose appeler
musique tant ceux-là sont éloignés de celle-ci. Aussi, contrairement à la bonne
musique qui s’écoute à volume raisonnable dans l’intimité de son salon ou,
mieux encore, dans son sous-sol, mon voisin aime faire tonitruer son heavy metal à tue-tête pendant qu’il travaille sur son terrain ou qu’il bricole dans
son garage la porte grand ouverte. Exit le doux babillage des oiseaux, le
gentil bourdonnement des insectes pollinisateurs ou l’agréable teuf-teuf des
tondeuses à GES. Je n’exagère pas : même les odeurs de moufette ont
disparu du paysage, ce qui, je dois l’avouer, n’est pas pour me déplaire.
M’enfin!
Heureusement
le soir, Claude a le sens civique de couper le son de sa chaîne décibellesque,
peu avant d’allumer un feu de foyer dans sa cour arrière. À ce moment-là, il
remplace les riches dissonances du heavy metal par les effluves d’un joint de
cannabis à quatre papiers et assez souvent, pour le vieux garçon que je suis,
par les gémissements interminables d’un coït passionné. C’est que, voyez-vous,
mon voisin a un succès fou auprès de la gent féminine de notre MRC et des MRC
avoisinantes. La raison en est que ce jeune homme, même pas encore trentenaire,
a le physique d’un Sébastien Delorme et le charisme d’un Gildor Roy. Aussi bien
dire qu’il est aussi irrésistible que District 31! Que Dieu en son
Infinie bonté l’ait aussi bien avantagé facilite énormément sa vie sexuelle.
Une chance, parce qu’il a toute une libido : à côté de lui, Gilbert Rozon
fait figure de moine bénédictin! Loin de moi l’idée de l’envier, mais parfois,
quand l’orgasme tarde trop à venir, je me dis avec une ironie vengeresse, que
ce faisant, Claude triomphe sans gloire.
Un
jour, alors que j’étais chez lui pour qu’il me remette ma scie ronde qu’il
n’utilisait plus depuis belle lurette, Claude m’a avoué qu’il cherchait une
belle-mère pour Cynthia. Ah bon, ai-je répondu en rajoutant intérieurement que
j’avais rarement entendu un homme mettre autant d’énergie dans sa
recherche d’une épouse (je dois être le seul qui utilise encore ce vilain mot
pour désigner la chanceuse qui a un homme dans sa vie) et se montrer aussi
difficile pour arrêter son choix. C’est exactement à ce moment-là que Claude a
lu dans mes pensées et qu’il a entrepris de me donner des explications, non pas
que je lui en demandais – rappelez-vous
que je me parlais intérieurement -, mais pour satisfaire un besoin très masculin,
celui de se justifier. Il s’est mis à m’expliquer qu’il y avait toujours
quelque chose qui clochait chez la fille qu'il rencontrait. S’en est suivi un long silence qu’en
bon voisin qui se mêle de ses affaires, je n’ai pas osé rompre. Quand j’ai
finalement compris qu’il avait fini de se justifier et qu’il n’allait pas me
donner d’exemples tangibles, j’ai mis les gants que par bonheur je traîne
toujours sur moi et je lui ai gentiment demandé : « Se pourrait-il
qu’hypothétiquement certaines de tes conquêtes prennent peur en voyant qu’une
fillette vient avec ta… queue? » Pour toute réponse, Claude m’a tendu ma
scie ronde en poussant un soupir qui semblait en dire long. Je revins à la
maison en philosophant sur les horloges biologiques des femmes qui ne sonnaient
pas toutes à la même heure.
L’hiver
venu, j’ai un peu perdu de vue mon voisin. Il n’avait plus rien à m’emprunter
et ne se livrait plus à aucune activité lubrique à l’extérieur. Aussi, ce n’est
que vers la fin de février, à peu près au moment où la majorité des Québécois
se demandent en blasphémant si l’hiver va finir un jour, que je m’aperçus que
Claude avait finalement gagné à la loterie de l’amour. Un résultat prévisible, me
suis-je dit avec toujours le même léger soupçon d’envie dans la voix, vu le
nombre impressionnant de billets qu’il avait acheté ces derniers mois. Toujours
est-il que, le matin en allant promener mon chien, je voyais maintenant
toujours la même petite Coccinelle jaune et rouille garée devant l’entrée.
Avait-il
gagné le gros lot ou juste un prix de consolation? J’ai eu ma réponse au début
de mars quand, malgré la fermeture de toutes les ouvertures sous ma toiture,
j’ai ouï des éclats de voix suivis d’un ovni (objet en verre non-identifiable)
volant en éclats. Par discrétion, je ne suis pas allé voir tout de suite ce qui
se passait chez mon décibellogène. J’ai attendu que la Coccinelle passe en
trombe devant ma maison pour passer la laisse au chien et l’amener faire sa
promenade matinale plus tôt qu’à l’accoutumée.
Claude
était à quatre pattes derrière sa Subaru pas loin d’une batte de balle-molle
ayant récemment servi. Il ramassait un à un les morceaux de sa lunette arrière
et les déposait dans un seau. Ne voulant nullement m’immiscer dans sa vie,
j’allai simplement lui proposer mon aide. Je crois qu’il n’attendait que ça
pour venir s’épancher sur mon épaule en suivant les consignes sanitaires du
moment, c’est-à-dire en mettant un masque de procédure et en restant à deux
mètres de mon épaule. Ah les femmes ! Ah les femmes ! répétait-il sans arrêt.
Je voulus le rassurer en lui disant que je n'étais pas sourd, mais en lieu et
place je lui demandai, moins par curiosité que par support masculin, ce qui
s’était passé. C’est Claude, c’est Claude répétait-il maintenant sans arrêt en
hoquetant. Hum! À ce rythme, me suis-je dit in petto, j’en ai pour deux
jours, deux jours, avant de savoir de quoi il retourne. Je voulus à nouveau le
rassurer sur ma bonne ouïe, mais je bloquai sur le Claude. Pourquoi mon
voisin parlait-il de lui à la troisième personne comme Jean-François Lisée ? De
jérémiades en question, j’ai finalement appris que sa blonde s’appelait elle
aussi Claude. Comme j’avais bien retenu la leçon la première fois, je lui
demandai si elle portait ce prénom en l’honneur du cinéaste québécois (par
courtoisie et ce, même si l’envie me démangeait la langue, j’évitai de répéter
les allégations de pédophilie à l’encontre dudit Claude). Bien sûr que non, me
répondit-il, c’est une femme! Ses parents l’ont nommé ainsi en l’honneur de la
grande chanteuse québécoise Claude Valade. Heureusement, j’ai eu le réflexe de
contracter mes zygomatiques. Sinon, ma bouche lui aurait demandé qui diable
avait été cette Claude Salade. Claudette Dion, j’ai bien connu, Renée Claude
aussi (mais ce n’est pas un prénom), Claude Saucier, beaucoup, beaucoup moins.
Poursuivons.
La
veille, Claude avait avoué à Claude être allée voir ailleurs si l’herbe était
plus tendre et la baise meilleure, ce à quoi mon voisin, très conscient que sa
fille dormait dans la chambre adjacente, avait répondu qu’il s’en sacrait du
moment que c’était lui qu’elle aimait. Sur ce, et pour la première fois depuis
qu’ils s’étaient rencontrés sur Tinder, les deux s’étaient endormis sans
copuler. La nuit avait dû porter conseil à Claude, car le matin venu, elle se
leva fort en colère contre Claude, qui selon elle acceptait trop facilement son
infidélité. Elle pensait, tout comme moi d’ailleurs qui, je ne le cache pas,
suis assez vieux jeu sur ces questions, que si Claude le prenait aussi
facilement, c’est qu’il avait sans doute quelque chose à se reprocher. Elle
accusa donc Claude de ne pas vraiment l’aimer et d’être allé voir ailleurs lui
aussi. Vous me suivez? S’ensuivit ce que vous savez, les éclats de voix et le
coup de batte de balle-molle dans la lunette arrière de la Subaru. Comme quoi,
rien ne change avec les générations : l’infidélité de la femme ça passe,
car l’homme a à cœur l’unité du couple et le bonheur de sa famille, mais pas
l’inverse. La femme est viscéralement jalouse – c’est sans doute inscrit dans
ses deux chromosomes X – et manque définitivement de confiance en elle. (Note
de l’Auteur : SVP, ne me tombez pas dessus à bras raccourcis : je ne
suis que le messager qui rapporte les propos tenus ou pensés par les
protagonistes de cette histoire.)
Je
voulus sympathiser, compatir même avec Claude. Je m’apprêtais donc à le
réconforter quand, levant les yeux, j’ai vu à la fenêtre de sa chambre Cynthia
qui regardait la scène en pleurant à chaudes larmes (je n’ai pas pris la
température de ses larmes, cependant je sais pertinemment que les larmes d’une
enfant sont toujours chaudes contrairement à celles des adultes qui sont
souvent aussi froides qu’un crocodile). Cynthia se considérait sans doute comme
la cause de la dispute qui rendait son père si malheureux. Je le sais parce que
j’ai pensé exactement la même chose quand mes parents ont divorcé. Il importait
donc maintenant que Claude aille parler à sa fille, qu’il lui explique que la
dispute n’avait rien à voir avec elle, qu’elle devait plutôt tout à la
propension naturelle des femmes de toujours exagérer les choses (SVP, relire
la Note de l’Auteur ci-dessus). Comme je m’apprêtais à en faire la
suggestion, je me suis rappelé que je devais me mêler de mes affaires et
laisser les autres régler les leurs.
J’ignore
ce que vous auriez fait à ma place, car justement vous n’y étiez pas. Lui
auriez-vous pointé sa fille en lui disant d’aller la consoler ? Auriez-vous
sorti un Constat à l’amiable pour qu’il puisse réclamer la lunette arrière à
ses assurances en jurant avoir été l’objet d’un délit de fuite, ce qui après
tout était presque la vérité? Lui auriez-vous suggéré de sauter la clôture pour
voir s’il ne trouverait pas le bonheur dans les bras d’un homme?
Pour ma
part, je n’ai choisi aucune de ces réponses. En bon voisin, je lui ai
simplement demandé s’il en avait fini avec mon taille-haie à batterie 24 volts
et s’il pouvait me le remettre. Claude m’a regardé droit dans les yeux et m’a
souri. Bien sûr, m’a-t-il répondu, j’avais complètement oublié ça. Viens avec
moi dans le garage, je crois bien l’avoir rangé derrière mon établi. Je suis
vraiment chanceux de t’avoir comme voisin. J’ai su que j’avais dit la bonne
chose et que tout était revenu à la normale quand, sur le chemin du retour, a
commencé à retentir dans tout le voisinage le heavy metal de ce cher Claude.
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