M&L 1 : Mathis

  

Vous souvenez-vous du film Les 12 Singes (12 Monkeys en anglais) avec Brad Pitt et Bruce Willis ? Non ? La mémoire va peut-être vous revenir si je vous dis que dans la scène d’ouverture, James Cole (le personnage interprété par Bruce) est catapulté dans le passé pour sauver l’humanité et qu’il atterrit flambant nu dans une rue de Baltimore en 1990.

Moi, je ne m’en souvenais pas avant que je ne sois témoin d’un incident similaire mardi soir dernier. Couché depuis peu, je rêvassais à un sujet d’écriture lorsque soudain, un grand boum a retenti au pied de mon lit. Alors que je rabattais précautionneusement les couvertures au-dessus ma tête pour me protéger, le bruit sourd se transforma en une longue plainte émanant de toute évidence d’un corps humain en souffrance. Je vous avouerai que cela m’a quelque peu rassuré. Suffisamment pour que j’allume la lampe et regarde au pied de mon lit. Là gisait dans une flaque d’eau un homme flambant nu qui essayait vainement de se redresser. Il ne s’agissait sûrement pas d’un cambrioleur, car je ne voyais pas de sac de sport pour transporter le butin. De plus, à ce que je sache, il n’entre pas dans le modus operandi des voleurs de se déshabiller avant d’entrer chez leur victime. Encore moins d’un assassin, car alors où aurait-il pu dissimuler l’arme du crime ? Plus je raisonnais, moins j’étais inquiet. Restait l’épineuse question de la raison d’être de cet homme dans ma chambre, question que mon cerveau décida d’occulter en ordonnant à mon corps de se lever et d’aller chercher deux robes de chambre : une pour moi et une pour … pour qui au fait ?

Ce fut la première question que je posai à l’homme quand il fut décemment vêtu et assis dans mon fauteuil. Tout ce que j’obtins comme réponse fut un tremblement de lèvres. Encore en état de choc - qui ne le serait pas après une telle chute ? -, l’intrus ne pouvait parler pour le moment. Je profitai de son silence pour aller lui chercher un verre d’eau et rapporter une serviette pour éponger la flaque sur le plancher. À mon retour, quelle ne fut pas ma surprise de retrouver l’homme étendu dans mon lit, un grand sourire aux lèvres. J’en restai complètement baba. Heureusement, mon fauteuil était tout près : comme mes jambes se dérobaient sous mes quelque cent kilos de chairs flasques, j’agrippai un bras et me laissai tomber sur le siège. Je bus le verre d’eau d’une traite et utilisai la serviette pour essuyer la sueur qui perlait sur mon front.

J’en étais encore à me demander comment une situation aussi bizarre avait pu s’inverser si rapidement – l’inconnu devenant l’occupant du lit et moi l’intrus dans la chambre - qu’une voix douce, presque joyeuse, me répondit : « Bonsoir, je m’appelle Mathis ».

Constatant la longueur du délai entre ma question et sa réponse, j’inférai que la nuit allait être longue. C’est pourquoi, je me dépêchai de lui poser ma deuxième question en me rappelant Les 12 Singes : « Venez-vous du futur ? » La chose faite, je me suis dit que j’avais le temps d’examiner ledit Mathis avant d’ouïr sa réponse. J’enregistrai mentalement que l’individu avait dans la trentaine - s’il ne venait pas du futur, auquel cas il avait alors un âge négatif -, qu’il avait à peu près ma taille (1m73) mais non mon poids (tout au plus 75 kg de chair ferme, tandis que moi…), les cheveux courts auburn ou châtain clair, le regard intelligent, les doigts longs et fins comme ceux d’un pianiste. Une belle pièce d’homme aurait dit ma mère.

Mathis partit d’un grand rire franc : « Du futur ? Bien sûr que non, pas plus que je ne viens du passé. » J’étais fixé : il avait définitivement dans la trentaine d’années d’âge. Ne restait qu’une origine possible que je n’osais énoncer à voix haute : sachant, comme tout le monde, que nous vivons dans un multivers, Mathis devait venir d’un autre univers. Un univers parallèle, à la fois semblable et différent du nôtre. Avec un peu de chance, un univers où Donald Trump n’a jamais existé, ni aucun de ces politiciens qui me causent de l’urticaire.

« Je viens d’ici, de ta chambre », me répondit Mathis sans que je le lui demande. Pouvait-il lire dans mes pensées ? Non, me répondit-il, car je suis le fruit de ton imagination. Hein ? J’ai eu envie de lui demander si en tant que fruit de mes entrailles, il était béni, mais je me suis retenu pour ne pas offenser l’Autre. Mathis souriait toujours : « Je suis le personnage que tu cherches pour ton prochain roman. » Comment ça, mon prochain roman ? « Ne rêvassais-tu pas tout à l’heure à un sujet d’écriture ? » Certes oui, mais pas à un roman ! Tout au plus à un texte court ou, avec  un peu de souffle, à une nouvelle. « Avec moi comme héros, je te garantis que ce sera un roman. Page après page, je vais nourrir ton imagination et t’entraîner dans de folles aventures. Mieux encore, au bout de trois cents pages, je vais te faire connaître le plus heureux des dénouements. »

Ce fut à mon tour d’esquisser un sourire : « Si c’est de même que ça va se passer, je suis d’accord. ». Je me levai et m’approchai du lit : « Tasse-toi s’il te plait, c’est mon côté de lit » Mathis enleva sa robe de chambre et prit possession de l’autre moitié du lit. Je m’étendis à son côté et fermai la lumière. Je pouvais commencer à écrire mon roman.

 

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