M&L 3 : Départ pour les Youhesshés

  

Je connais la destination, mais non le chemin pour m’y rendre.

(Ma nièce Florence, peu après sa naissance)

 

Mathis et Laura ont eu raison : ils m’ont finalement inspiré l’idée d’un roman. De là à savoir s’il me vaudra le Goncourt ou l’Ig-Goncourt - l’équivalent de l’Ig-Nobel -, il me faudra attendre le jugement des grandes critiques littéraires Nathalie Sarraute, Nathalie Collard et Nathalie Petrowski. Cela dit, je vous jure que si jamais, un jour, je commets un roman policier, la victime se prénommera Nathalie.

Ce ne sont pas tant leurs passoires qui ont rallumé ma flamme de l’écriture, que mon empressement à les voir quitter les lieux, surtout mon lit. Après trois jours à entendre mon pauvre meuble craquer sous les exercices répétés de leur Kamasutra, une étincelle de génie a jailli de mon épuisement mental et physique : envoyer ces  dépravés le plus loin possible en souhaitant qu’ils y trouvent la mort.

J’ai sorti mon vieil Atlas routier de l’Amérique du Nord et, avec un surligneur jaune, j’ai commencé à tracer un itinéraire à travers les villes les plus dangereuses des États-Unis. J’évitai de mettre Montréal comme point de départ du voyage par crainte que l’omniprésence des cônes orange ne leur fasse rebrousser chemin. En lieu et place, je choisis Stanstead en raison de sa douane très perméable. Suivirent Pomfret dans l’état de New York, Weaverville en Caroline du Nord, Tampa en Floride (où il est légal de tirer sur tout ce qui n’est pas wasp[1]), Hurricane en Utah et San Francisco où un tremblement de terre de magnitude 7,8 est appréhendé depuis 1906. Le tout en passant, naturellement, par le Texas (là où on tire encore plus vite qu’en Floride) et la vallée de la Mort en Californie.

Ensuite, j’ai sorti un vieux parchemin, mon encrier et la plume fontaine que mes parents m’ont donnée pour ma majorité civile (soit 21 ans au Québec avant 1971). J’ai écrit une lettre apocryphe indiquant où se trouvait dans chaque ville susmentionnée une passoire en argent portant un détail géographique sur l’endroit où le signataire, un certain Jacques Létourneau, mieux connu sous le nom de Pirate Maboule, avait caché un fabuleux trésor. J’ai chiffonné la lettre, l’ai scellée de cire rouge et  saupoudrée de poussière. Ne me restait plus qu’à attendre la prochaine pause sanitaire de mes intrus pour leur remettre la lettre en leur assurant que le résultat de cette quête allait tous nous rendre célèbres.

Mais avant, il me restait une dernière chose à faire pour les convaincre de partir. J’ai pris toutes mes cartes de crédit et suis allé chez le concessionnaire automobile le plus proche acheter un gros VUS couleur argent (autrement dit gris). Selon mes calculs, j’avais assez de crédit pour faire les six premiers versements, ce qui laissait amplement de temps à Satan pour ramener ses deux diables en Enfer.

Vous auriez dû voir Laura et Mathis quand je leur ai montré la lettre et, surtout, le gros VUS stationné à la porte. On aurait dit deux enfants à qui on venait d’annoncer que la famille s’en allait à Disney World. Ils ont couru partout dans la maison avant d’aller s’asseoir sagement sur la banquette arrière du véhicule, ma tablette électronique et mon portable bien calés sur leurs genoux. Oups, les amis! il y a deux petites choses que j’ai oublié de vous dire. Primo, les douaniers ne vous laisseront pas entrer aux États-Unis ainsi déshabillés. SVP, retournez dans ma chambre et trouvez de quoi vous couvrir tant l’essentiel que le superflu. Non Laura, je n’ai pas de soutien-gorge à te prêter. Deuxio, je ne peux vous accompagner : je dois rester ici pour raconter vos péripéties à nos lecteurs et me trouver un agent littéraire. Je vous rappelle qu’on ne court pas les concours, encore moins le Goncourt, sans un intermédiaire à qui remettre la majeure partie des droits d’auteur. Bah, s’exclama Mathis pour qui de toute évidence l’argent importait aussi peu que les vêtements. Minute, répondit Laura tel un écho mal ajusté, ça nous prend quand même un peu d’argent de poche pour le voyage. De l’argent pour l’essence, les repas, les hôtels, mes soutiens-gorge et nos jouets sexuels. Le tout en devises américaines, s’il te plait mon trésor.

Compris, répondit le désargenté qui n’avait que le crédit à se mettre sous la dent. Je passai un coup de fil à ma banque, laquelle s’empressa de me prêter la somme désirée à un taux très avantageux (pour elle) avec ma maison pour gage de ma solvabilité. Et voilà les amis, dis-je à Laura et Mathis en leur remettant une mallette pleine de billets de banque à l’effigie de ce cher Benjamin Franklin. J’ai gardé un seul billet dans ma poche pour pouvoir payer la prochaine épicerie.

Le départ fut émouvant. Nous avons tous les trois pleuré. Eux parce qu’ils partaient sans moi pour la grande aventure, moi parce qu’ils partaient avec tout mon argent, sauf une coupure.

Exténué, je rentrai et allai m’écraser dans mon fauteuil. J’étais enfin à nouveau seul. J’allais à nouveau pouvoir dormir dans mon lit, vaquer en paix à mes occupations. Vraiment ?


La Souris verte, le Pirate Maboule et Bobino. Source : Pinterest.com




[1] White Anglo-Saxon Protestant, l’équivalent des Québécois pure laine

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