M&L 2 : Laura
Le
lendemain, je me réveillai avec un méchant mal de bloc, vous savez le genre qui
suit une soirée trop arrosée. Pourtant, je n’avais pas bu une goutte la veille.
Je m’apprêtai à me lever lorsqu’une jambe posée sur ma sénestre me rappela que,
depuis quelques heures, je n’étais plus seul dans mon lit. Un homme dormait à
mes côtés du sommeil des justes, c’est-à-dire à poings fermés. Il me fallut
quelque temps pour me rappeler son nom, Mathis, et la raison de sa présence
dans mon lit : fruit non béni de mes entrailles, ce héros imaginaire
s’était incarné hier soir pour m’inspirer un grand roman.
J’avais
bien commencé à penser à un roman, mais mon cerveau avait refusé de coopérer.
En lieu et place, il avait accumulé d’imaginaires acétaldéhydes jusqu’à ce que
le bloc me fasse mal, ce qui avait empêché toute forme de raisonnement de
prendre forme. Ne me restait plus qu’à me préparer un café extra-fort et à me
mettre au boulot devant mon portable. Voulant tirer profit du profil avantageux
de mon alité, je commençai à esquisser un roman d’espionnage à la IXE-13, l’as
des espions canadiens. Malheureusement, n’est pas Pierre Daignault qui
veut : mon espion faisait peine à lire tant il était perdu dans le dédale
des technologies modernes. Quid est du roman policier, susurra la folle du logis à mon cortex ?
Peut-être, répondit mon hippocampe en se remémorant le succès de la télésérie District
31. Je passai l’heure suivante à imaginer des vols de banque, des crimes
passionnels, des actes terroristes, etc. Dans chaque scénario, Mathis était le
méchant et mourait à la fin du roman. Pas sûr qu’il allait aimer ça. Au fait,
il serait peut-être temps qu’il se lève celui-là et qu’il m’aide un peu.
En
entrant dans la chambre, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que non
seulement mon héros était pleinement réveillé, mais aussi qu’il s’agitait fort
sous les couvertures. Je pouvais voir son abondante chevelure noir de jais
s’enfoncer par à-coups dans l’oreiller. Attendez une minute, ai-je dit noir de
jais? Me semblait que mon héros avait les cheveux auburn ou châtain clair. Et
courts de surplus ! Un long cri de jouissance haut perché répondit à mon
interrogation : il y avait une femme dans mon lit qui coïtait avec mon
héros. Ou plutôt qui avait coïté, car elle venait de se retourner sur le dos et
me regardait maintenant d’un air satisfait. Pour sa part, Mathis a grommelé
quelque chose d’incompréhensible avant de lancer en bas du lit un condom usagé.
Le
lion en moi se mit à rugir : « Eille vous deux! sortez de mon lit et
sacrez-moi votre camp au plus crissant. » Daignant enfin me regarder,
Mathis me fit son éternel grand sourire : « Bonjour l’Auteur, je te
présente Laura, ma partenaire de jeu. Laura, je te présente l’Auteur, celui qui
va nous permettre de gagner le Goncourt l’an prochain. ». Oh, répondit
ladite Laura en me fixant d’un air maintenant bienveillant, excusez mon
intrusion dans vos pénates monsieur l’Auteur, mais j’ai cru comprendre de Mathis
que vous aviez besoin d’une muse pour votre roman. Une muse, ai-je rétorqué,
est-ce que j’ai une tête de musagète ? Bien sûr que non, répondirent en chœur
mes intrus imaginaires quelque peu effrayés par ma colère. Nous cherchons juste
une façon de t’être utile, un moyen de t’aider à…
Ce
dernier rabâchage fut de trop. J’éclatai : « Et vous avez pensé qu’en
forniquant comme des bêtes, ça m’inspirerait un nouveau Roméo et Juliette. Non,
mais pour qui vous vous prenez ? Ne savez-vous pas qu’aux âmes bien nées, la
valeur n’attend point le nombre des années[1]
? Vous aurez beau faire, vous ne pouvez en faire plus que ce que je suis :
un écrivaillon. Que dis-je : un scribouillard ! J’ai beau me ronger les
sangs, m’abreuver de café fort et dévorer toutes les téléséries de Netflix et
de Radio-Canada – à l’exception de Stat que je trouve infecte – rien n’y
fait. Je n’arrive pas à imaginer un scénario qui tienne la route. Parfois, j’ai
l’impression que tout a déjà été dit. Pire, qu’il y’a pas de place, nulle part,
pour les Plumes vagabondes du monde entier.[2] »
Sur ce, je fis un Ovide Plouffe de moi et éclatai en sanglots.
Tout
à mon apitoiement, je n’entendis pas Laura et Mathis palabrer à voix basse. Pas
plus que je ne les vis se lever et sortir nus de la chambre. Ce fut le bruit
des casseroles qui me ramena dans la réalité de mon monde imaginaire. Voyant
que MON lit était à nouveau disponible, je m’y précipitai et enfouis ma peine
sous les couvertures. Temporairement, car la forte odeur des corps en chaleur
qui y régnait eut tôt fait de m’obliger à revenir à l’air libre. Alors que je
secouais les couvertures pour chasser les miasmes de la fornication, une marche
nuptiale se fit entendre en provenance du salon. ♪ Ta-tam-tamtam, ♪
ta-tam-tamtam… La porte de chambre s’ouvrit et mes deux nuvites incarnés
entrèrent, bras dessus bras dessous, coiffés d’une passoire à spaghetti. Ils
marchèrent lentement vers moi jusqu’à ce que leur pubis fut à moins de trente
centimètres de mon nez. Subodorant le pire, je décidai de ne pas béer de la
bouche et de rester coi. Très coi.
Laura,
la première, prit la parole : « Puisque tu es visiblement en panne
d’inspiration, nous avons décidé, Mathis et moi, de te soumettre un sujet
d’écriture. Nous nourrissons l’espoir qu’il te sorte de la torpeur littéraire
dans laquelle ton cerveau s’est récemment enfoncé et qu’il t’aide à prendre ton
envol vers l’Olympe de la littérature, là où règnent en dieux Victor Hugo,
Céline (pas la chanteuse, l’autre) et Marcel Proust. Ce sujet, nous le portons
sur la tête. Il s’agit de la passoire à spaghetti. Puisse-t-elle t’inspirer,
tel le cheval pour Homère, une épopée des plus brillants exploits. Ainsi ton
front sera ceint de fleurons glorieux. Tout comme nous nous rappelons encore de
Tristan et Iseut, les humains de demain chériront la mémoire de Mathis et
Laura. »
Mathis
conclut l’injonction : « Allez l’auteur, lève-toi et marche. La
passoire va te guider vers ta destination. »
Que
pensez-vous que je fis?
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