Nocturnesque

 

Je suis rentré à Montréal sous un de ces orages apocalyptiques de juillet. Je roulais lentement dans l’averse violente, incapable de voir à plus de dix mètres devant moi. Le nez collé au pare-brise, je regardais le ciel se lézarder de lumière pendant que le tonnerre faisait vibrer le châssis de la voiture.

Je pensai à ce couple qui, lui aussi, roulait sous un gros orage quand leur auto tomba en panne à proximité d’un château très bizarre. Le titre du film me revint en mémoire : The Rocky Horror Picture Show. 1973, un des tout premiers rôles de Susan Sarendon. Fatigué de conduire et craignant d’avoir un accident, je décidai de m’arrêter pour laisser passer le plus fort de l’orage. Comme je ralentissais, mes phares captèrent sur l’accotement une forme humaine tout de blanc vêtue qui, pouce levé, essayait d’attirer mon attention. Un coup de vent releva le voile qui lui couvrait la tête, me révélant un jeune homme hirsute aux yeux hagards. Inquiété par l’allure bizarre du jeune homme, je m’apprêtais à accélérer quand la curiosité prit le dessus sur ma prudence. J’appliquai les freins. Juste un peu trop tard : je dépassai l’autostoppeur en l’éclaboussant copieusement.

Bah, me dis-je en m’immobilisant le long du chemin, de toute façon il était déjà trempé à lavette, alors un peu plus d’eau … Dans mon rétroviseur, je vis le jeune homme s’avancer en clopinant, l’eau dégoulinant sur son torse dénudé. Je compris alors le sens de son accoutrement : il était habillé en cheik d’Arabie. Puis, je vis une autre forme humaine sortir de nulle part et s’avancer derrière lui : un homme dans la quarantaine, habillé comme Tintin avec des pantalons plus-fours, portant un vieux sac de golf. C’est celui-ci, plus que celui-là, qui me permit de comprendre à qui j’avais affaire. Le golfeur était Jack Decker, LE Jack Decker du film Les États-Unis d’Albert d’André Forcier (2005), interprété par nul autre que Roy Dupuis. L’autre était donc Albert Renaud, le jeune canadien-français interprété par Éric Bruneau, qui rêvait de remplacer Rudolph Valentino à l’écran et qui avait vu son rêve hollywoodien s’éteindre à petit feu en traversant les États-Unis, d’abord en train, puis à ... Je me remémorai alors leurs mésaventures, surtout les nombreux cadavres qui avaient jalonné leur route, dont celui de Grace Pickford, la tante méconnue de Mary, et celui de Simon, un Marc Labrèche lubrique jaloux de Maria, sa maîtresse effeuilleuse.

Je m’attardai sans doute un peu trop longtemps au souvenir de la danse du voile de Maria, car Albert tapotait maintenant avec insistance sur la vitre du passager pour que je déverrouille. Reprenant tous mes sens, je m’écriai « Non, arrière, je ne serai pas votre prochain cadavre » et  pesai à fond sur l’accélérateur pour reprendre la route. Mal m’en prit car un arbre, qui ne m’avait sans doute pas vu venir avec toute cette pluie, plongea droit sur mon capot. Sous la force de l’impact, ma portière s’ouvrit et je fus éjecté de l’auto…

Je me réveillai en sueur en bas de mon lit. Je me relevai péniblement en me tenant le ventre de douleur, et me recouchai tant bien que mal. Je jurai intérieurement de ne plus jamais, au grand jamais, manger de fromage en grains en regardant un film tard le soir.

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