La lune rousse
Merde, m’exclamai-je, j’avais oublié que
c’était la pleine lune ! Je relevai le col de mon manteau et rabattis ma
casquette sur les yeux avant de tourner le coin de la rue. Je franchis les
cônes orange qui bloquaient la rue Saint-Denis. Faisant bien attention d’éviter
les tas de gravats et les tuyaux déposés ci et là, je gagnai petit à petit
l’entrée de la librairie Champigny. Faisant preuve d’un optimisme à toute
épreuve, la librairie demeurait ouverte au public malgré l’heure tardive et,
surtout, malgré les travaux d’infrastructure qui rendaient toute tentative
d’approche pour le moins périlleuse. De surcroit, lesdits travaux n’en
finissaient plus de traîner en longueur pour le plus grand bonheur de
l’entrepreneur, mon employeur, qui pouvait ainsi allonger la facture.
Mon contact, une femme à l’allure
ordinaire qu’on oublie facilement, m’attendait sous le porche. Je réalisai en
la voyant le pourquoi du rendez-vous à cet endroit : rue quasi déserte,
librairie faussement animée et luminosité tout juste suffisante pour
s’identifier.
Je m’approchai de la femme et la saluai
d’un hochement de la tête. Elle me répondit en ouvrant son sac à main.
Comprenant par là qu’il me fallait faire vite, je soulevai la jambe droite de
mon pantalon. La femme regarda le bas Oxford bien gonflé qui galbait mon mollet
et esquissa un sourire. Je me penchai et sortis de mon bas une grosse liasse de
billets bruns que je déposai prestement dans le sac à main. La femme referma le
sac, hocha la tête à son tour et partit d’un pas rapide se fondre dans les ténèbres
de la ruelle adjacente.
Je rajustai mon pantalon tout en
m’assurant d’un regard circulaire qu’aucun passant n’avait été témoin de notre
manège. Non, seule la lune rousse m’avait vu remettre un pot-de-vin à la
représentante de l’élu municipal. Seule la lune rousse et la caméra de sécurité
au-dessus de l’entrée qui avait filmé toute la scène.
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