♪ Bedon Bedondaine ♪

  

Je suis né en septembre 1951. Une vraie bénédiction, ont déclaré mes parents au docteur avant de lui demander de me circoncire pour remercier Dieu d’avoir mis fin à leur souffrance d’enfant. Car, voyez-vous, mes parents m’ont longtemps espéré. Certes, pas aussi longtemps qu’Abraham et Sarah – mes parents étaient tous deux dans la vingtaine quand je suis né -, mais quand même. Après cinq ans de mariage, les entrailles de ma mère n’avaient encore produit aucun fruit. Or, à cette époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le succès du couple, et ipso facto son bonheur, dépendait directement de la taille de sa progéniture. Papa était le septième de neuf enfants, et maman, la deuxième d’une smala égale aux jumelles Dionne qui, je le rappelle, étaient au nombre de cinq. Donc, les deux étaient issus de familles canadiennes-françaises particulièrement heureuses, pour ne pas dire réussies.

Aussi, le temps des Fêtes était un véritable supplice pour mes parents. L’un après l’autre, les frères et les sœurs venaient leur présenter le p’tit dernier. L’un après l’autre, ils demandaient à mes parents si « dans leur cas, c’était pour bientôt ? » À chaque fois, mon père répondait en pointant le plafond de son index droit que cela dépendait du petit Jésus. Pour sa part, ma mère prenait un air piteux, quasiment coupable. Je ne sais pas ce qu’elle aurait donné dans ces moments-là pour pouvoir exhiber un ventre rebondi, promesse d’un enfantement prochain.

À un moment donné, le problème de mes parents est devenu celui de la paroisse. Faut dire qu’à cette époque, le rôle premier du clergé était de veiller au salut de ses ouailles et non de collecter de l’argent pour la réfection de l’église. Toujours est-il qu’un beau matin, un ecclésiastique s’est présenté chez mes parents. Pas un simple vicaire ou un petit célébrant de messes basses. Non madame! monsieur le curé en personne! Il s’est assuré que mes parents remplissaient bien leur devoir conjugal et a remis à chacun un scapulaire de la bonne Sainte-Anne à porter en tout temps, surtout au lit! Avant de quitter, il a sorti des cartes de prière de sa poche et enjoint mes parents de prier sainte Colette de Corbie, patronne des couples en souffrance d’enfant (sic!), ainsi que saint Nicolas de Bari, réputé pour guérir les couples infertiles. Mes parents obéirent religieusement à monsieur le curé : pendant des mois, ils scapulèrent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et prièrent ses saints matin et soir. Sans succès !

Ne sachant plus à quel saint se vouer, mes parents décidèrent de faire appel au Père Noël. À l’automne 1950, chacun envoya une lettre au pôle Nord pour demander au bon Santa non pas des jouets par milliers comme leurs frères et sœurs, mais un seul cadeau, un tout petit bébé. Il n’a pas besoin d’être beau, a écrit mon père pour bien marquer l’urgence de sa demande. Ni même intelligent, a renchéri ma mère dont le moral, semble-t-il, touchait le fond du baril. Je crois bien que c’est ce qui a touché le vieil homme. Le matin de 25 décembre, mes parents ont trouvé dans leur bas de Noël des biberons, une suce et des couches en finette. Suspendue entre les bas, se balançait sur un clou une petite paire de chaussons bleu poudre tricotés à la main.

Je suis la preuve vivante que le Père Noël existe.


Sainte Colette de Corbie (1381-1447), patronne des couples en souffrance d'enfant.


 

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