J'avais trois ans la première fois
Vous
rappelez-vous du temps où on disait que les enfants étaient hauts comme trois
pommes. C’est en plein de ce temps-là dont je veux vous parler aujourd’hui.
J’étais
effectivement très petit et tout était trop haut pour moi : la chaise de
cuisine sur laquelle il me fallait grimper pour manger, la table qui
m’obligeait à me mettre sur les genoux pour atteindre mon assiette. Même les
poignées de porte étaient trop hautes pour moi. Et je ne vous parle pas de mon
lit auquel il me fallait accéder en montant les trois marches d’un escabeau et
dont je ne pouvais descendre pendant la nuit car, chaque soir, maman en
montait les ridelles soi-disant pour me protéger. Vous comprendrez que si
j’avais envie pipi à deux heures du matin et que je ne voulais pas faire dans
ma belle couche-culotte fleurie, il me fallait pleurer très fort pour réveiller
mes parents. En fait, maintenant que j’y pense maintenant, il y avait juste mon
pot de chambre qui était à la bonne hauteur pour moi. Heureusement !
Un
soir, nous avions fini de souper et je venais de descendre de ma chaise quand
tout à coup, j’ai réalisé que sous la table se trouvait un lieu magique, une
espèce de château où j’étais hors d’atteinte de mes parents. J’ai été cherché
Pépinot, mon toutou aux grands yeux noirs, et me suis installé confortablement
sous la table, entre les quatre chaises, le pouce droit solidement enfoncé dans
ma bouche. J’ai regardé les jambes de mes parents aller et venir en
débarrassant la table. Puis, les jambes se sont immobilisées devant le
comptoir : mes parents ont commencé à faire la vaisselle.
Soudain,
une voix étrange s’est fait entendre dans la cuisine. Une voix d’homme posée et
grave. Mes parents se sont mis à répondre à ce M. dont je n’arrivais pas à voir
les jambes. Il m’a fallu des années avant de comprendre que, ce soir-là,
j’avais assisté pour la première fois au Chapelet en famille du cardinal
Paul-Émile Léger à CKAC.
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