Le tailleur
Vous me trouvez beau, jeune et bien vêtu. Vous avez raison. Sachez toutefois que ma mise n’a d’autre fonction que d’exciter la convoitise des clients qui se présentent à ce comptoir.
Les messieurs envient mon col plissé bien amidonné qui met en valeur ma courte barbe noire, et ce riche pourpoint tout en plis florentins qui avantage mes formes tout en me laissant libre de mes mouvements. Certains reluquent même ces culottes bouffantes, qu’on appelle des hauts-de-chausses, où l’abondance du tissu affine la taille et met en valeur les mollets. Séduits, plusieurs passent commande des mêmes vêtements dans le vain espoir de me ressembler.
Quant aux dames, qu’elles soient mariées, promises ou encore célibataires, toutes, je vous dis bien toutes, monsieur le peintre, succombent à mon apparence. Elles me demandent des robes inutilement dispendieuses dans le fol espoir que je trouve en elles ce qu’elles voient en moi.
Croyez-moi, l’envie et la concupiscence font plus pour les ventes de mon patron que le plus bel étal de velours vénitien. Mais, ce que les clients ignorent, c’est que je ne suis que la publicité de cet atelier. Les précieux atours que je porte appartiennent à mon patron : il me fait les revêtir le matin pour le travail au comptoir et m’oblige à les enlever dès la fermeture. Mes hardes personnelles sont d’une étoffe et d’une coupe toutes simples, plus conformes à ma condition.
Aussi, je
peux vous confier que je ne resterai pas ici longtemps. Un autre tailleur, d’un
abord aussi beau mais plus jeune, viendra bientôt me remplacer pour annoncer
devant ce comptoir la mode du moment. Sans doute partirai je alors vers le
Nord. J’aimerais être admis à la cour du jeune roi Charles IX pour habiller ses
frères et ses sœurs, surtout la belle Margot dont on dit qu’elle sera bientôt
promise à Henri de Navarre.
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