L'Atlantide

 

Elle est assise dans l'unique fauteuil de la pièce. Ses yeux humides fixent un monde confus au-delà de la fenêtre, un monde de silence dont elle ne parle plus. Elle a tellement maigri qu'elle semble flotter dans son antique robe turquoise, celle-là même qui, jadis, lui donnait si fière allure. Le tissu avachi dissimule une peau désormais flasque, ainsi que l’épaisse couche-culotte qu'on lui met chaque matin avant de la conduire à son fauteuil. Parfois, elle lève lentement les yeux vers le ciel comme si elle suivait des bulles de savon irisées ou qu’elle regardait ses souvenirs la quitter un à un. Parfois aussi, elle glisse ses mains le long des bras froids du fauteuil en faux cuir et laisse s’échapper un long soupir. Sur quoi ? Sur sa vie passée ? Sur ce mouroir ? Sur le temps qui se traîne ici comme une couronne du Christ sur le corail australien ?

 Je me suis mis à frissonner en pensant que c’était ça la vieillesse, que c’était ça qui m’attendait. Être seul dans un monde flou, submergé par le silence, peinant à bouger, à respirer même. Finir mes jours en Atlantide.

 

Atlantide, acrylique de France Lamontagne

Commentaires

  1. J’ai frissonné moi aussi, du souvenir de ma mère que tu évoques sans le vouloir, et aussi de cette image d’une éventualité sournoise que personne ne veut vivre… avant de mourir. Merci, ce texte est une sublime fleur de l’esprit pour les deuils blancs et les noirs aussi.

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