Visite à Paris

 

 

Je ne connais pas une seule halte routière qui donne le goût d’y rester longtemps. Pas une! Même celle de Magog à la sortie 115 de l’autoroute 10 où je me trouve présentement à attendre l’Aéronavette de Sherbrooke qui va m’amener au terminal des départs de l’aéroport de Dorval. Excusez, au terminal des départs de l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau (sic!). Autour de moi une dizaine de personnes tout excitées à l’idée de partir en voyage. Elles jasent de leur destination, des lieux et des monuments qu’elles vont visiter. Certaines m’abordent et essaient d’en savoir plus sur moi, mais je demeure coi. Un jeune couple fin vingtaine, visiblement en lune de miel, insiste pour me parler. Je lui dis que je vais voir ma mère mourante à Paris. Cela suffit à lui clore le bec et à refroidir les ardeurs des autres voyageurs.

Enfin, la navette arrive. Le minibus est déjà à moitié rempli de Sherbrookois avec leur bagage. On libère des sièges, on empile les valises au fond du véhicule et on démarre. Aussitôt, je me mets le nez dans un exemplaire aussi ennuyant que publicitaire du Reflet du Lac. J’espère ainsi dissuader quiconque de me parler. Seul le conducteur a droit à mon sourire et à mon ticket. Lui aussi m’a reconnu, car ce n’est pas la première fois que je prends la navette. Poli, il se contente de me rendre mon sourire et de me souhaiter un bon voyage.

Si l’aéroport PET a quelque chose de futuriste, il doit être fichument bien caché, car je ne l’ai pas encore trouvé. Son aménagement, très stalinien, n’a guère changé depuis mon arrivée au Canada peu après les Jeux olympiques. Tout semble à des kilomètres de l’entrée. Il faut marcher, marcher, montrer patte blanche, se dévêtir à moitié, marcher encore avant d’arriver finalement dans la salle d’attente des vols d’Air Transat à destination de Paris. La seule chose qui a vraiment changé depuis les J.O., ce sont les prix : une petite bouteille d’eau coûte cinq dollars (taxes en sus), un lunch chaud quelque vingt-huit dollars (taxes et pourboire en sus)! Heureusement, je n’ai besoin de rien et bientôt, dans l’avion, j’aurai droit gratuitement à du vin et à un bon souper chaud.

Surprise! je retrouve dans la salle d’attente le jeune couple curieux de la halte routière. Je le salue d’un hochement de tête et vais m’asseoir loin d’eux, ce qui permet à une jeune maman sexy de venir me demander de surveiller ses deux petits monstres pendant qu’elle va à la salle de bain. Comme je m’exécute, le jeune couple décide de faire un selfie avec leur avion et moi en arrière-plan, sans doute, me dis-je pour documenter à fond leur voyage de noces. Je ris intérieurement en pensant au moment où ils vont divorcer : qui va les photographier alors qu’ils prendront chacun un taxi à la porte de leur ♪Do ♪Mi ♪Si ♪La ♪Do ♪Ré♪ ?

L’heure de l’embarquement arrive. Je m’avance parmi les premiers, car je suis en classe affaires. Je veux être frais et dispos demain pour voir ma mère. Le jeune couple embarque beaucoup plus tard, ce qui me permet d’en déduire qu’il voyage au fond de l’avion, tout probablement en classe super-économie. Décollage, souper, nuit écourtée, déjeuner et atterrissage à Charles-de-Gaulle. Je sors rapidement et gagne le carrousel où ma valise est parmi les premières à se présenter. Je m’apprête à quitter les lieux quand je vois du coin de l’œil mon jeune couple de nouveaux mariés attendant leurs valises. Sans doute des valises blanches avec des autocollants de cœurs rouges, me dis-je avec le sourire narquois de celui qui a vu pleuvoir et qui ne croit plus en rien si ce n’est à l’argent et à tout ce qu’il permet d’acheter, sexe inclus.

Ma mère habite dans le dixième arrondissement, près de la gare du Nord, dans un magnifique appartement au cinquième avec vue sur Montmartre et son Sacré-Cœur. Comme d’habitude, c’est mon cousin Nicolas qui m’ouvre. Il m’amène au grand salon où ma mère, rayonnante de santé, m’attend. Elle me demande si j’ai fait bon voyage. Nous jasons un peu, puis Nicolas me mène à ma chambre. Le soir, nous soupons avec quelques amis de Nicolas. Je me couche tôt dans l’espoir, toujours vain, de me remettre rapidement du décalage horaire.

Le lendemain, Nicolas m’amène en métro dans le quatrième arrondissement régler quelques questions financières. Comme nous sortons de la station, nous tombons nez à nez avec mon petit couple de tourtereaux. Impossible de les ignorer. Je les salue poliment, ce qui leur permet de prendre des nouvelles de ma mère. Voyant les rides du front de mon cousin se creuser, je m’empresse de dire que ma mère va beaucoup mieux, mais qu’elle va devoir rester alitée encore quelque temps. Je leur souhaite une bonne visite de la Ville Lumière.  Nous faisons dix pas et, sur un coup de tête, je me retourne : le jeune couple est en train de faire d’autres selfies avec Nicolas et moi en arrière-plan.

Cette fois, c’en est trop. Je me tourne vers mon cousin et lui dit, courroucé, que c’est la dernière fois que je fais la mule pour lui et ses « amis ». Tant pis pour l’argent et les billets d’avion en classe affaires. Il est temps que je me case et vive une retraite bien méritée au bord du lac Memphrémagog.

Je suis revenu au Québec deux jours plus tard, le double-fond de ma valise vide, mais le cœur léger. Le petit couple d’amoureux ne m’attendait pas à l’aéroport. En revanche, la maman sexy et ses deux petits monstres étaient du voyage. Déjà! me suis-je dit. J’ai grimacé en pensant que leurs valises devaient être beaucoup plus lourdes qu’à l’aller.


Halte routière 115, autoroute 10 du Québec


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