Le résidence Les Lucioles
Cher frère,
Ça fait maintenant trois
semaines que j’ai emménagé dans ma nouvelle résidence pour personnes âgées, Les
Lucioles. Mon logement est situé au cinquième étage, sur la face nord du
bâtiment. De mon balcon, j’ai une vue superbe : à gauche le Provigo et le
Jean-Coutu, à droite la caisse populaire et le Dollarama. Il y a aussi une SAQ
tout près au cas où je voudrais être pompette comme Les Mecs dans
l’épisode de cette semaine. Soit dit en passant, Christian Bégin est pas mal
plus agréable à regarder quand il ne feule pas comme un vieux matou!
Je voulais t’écrire plus
tôt, mais je n’ai jamais pu trouver le temps et la tranquillité nécessaires
avant aujourd’hui. Tu vas comprendre quand je t’aurai raconté ce que j’ai vécu
depuis mon arrivée.
Tout a débuté le lendemain
de mon déménagement. Je n’avais même pas encore commencé à défaire mes boîtes
que ma voisine de droite, madame Caron, s’est présentée à la porte. Elle a
passé un temps fou à examiner mon barda, si bien que j’ai eu l’impression de
passer une inspection. Puis, une fois le thé servi, elle s’est mise à me
raconter tous les potins de la résidence. Au bout d’une heure et demie, je n’en
pouvais plus. J’ai prétexté une affreuse migraine pour l’obliger à mettre fin à
son Écho-Vedettes local et à quitter les lieux.
J’ai retenu de sa visite
que ma voisine était une vraie belette :
elle allait sentir et colporter tout ce que je ferais ou dirais. J’en ai
eu la preuve dès le jour suivant quand une autre voisine de palier, madame
Gosselin, a frappé à ma porte. Aussitôt, madame Caron a ouvert la sienne en
prétextant avoir entendu cogner à sa porte. Madame Gosselin devait bien la
connaître car elle lui a lancé deux poignards du regard avant de me remettre un
plat cuisiné de bienvenue. Puis, ce fut le tour des autres voisins de se
présenter, qui avec des biscuits faits maison, qui avec des friandises achetées
au dépanneur de la résidence. À chaque fois, la belette est venue écornifler
sur le palier. À la fin de la journée, je me suis sentie en résidence
surveillée.
Le jour suivant, je
décidai d’empiler mes boîtes vides dans le corridor pour masquer la vue à ma
voisine. Mal m’en a pris : dix minutes plus tard, le concierge est monté
m’avertir de ne rien mettre sur le palier. Ah la vlimeuse ! Grrr ! À contrecœur,
j’ai rentré mes boîtes, non sans avoir au préalable demandé au concierge de
m’installer une sonnette sans fil avec lumière stroboscopique pour que mes
visiteurs puissent s’annoncer à l’insu de ma voisine.
L’installation a été
faite il y a deux semaines. Fort à propos, car c’est à ce moment-là que j’ai
commencé à jouer aux cartes en soirée dans la salle communautaire. Et là,
tiens-toi bien, j’ai fait la connaissance d’un charmant partenaire de cartes.
Marcel qu’il s’appelle. Un grand mince avec une abondante chevelure grise. Un
vrai Richard Garneau ! Dès le soir suivant, il est venu me chercher pour faire
équipe avec lui dans un tournoi de whist militaire.
Je croyais bien avoir
retrouvé ma vie privée avec la sonnette stroboscopique. Que nenni ! La belette
laissait maintenant sa porte entrouverte et se montrait le museau dès qu’elle
entendait des voix. Ce ne fut pas long que toute la résidence a « appris »
que Marcel et moi formions un couple, et que nous passions la nuit ensemble à
faire des choses que la décence m’interdit de répéter. Marcel a très mal pris
ces ragots de bas étage. Malheureusement, au lieu d’aller remettre la belette à
sa place, ce dont toute la résidence lui aurait été reconnaissante, moi la
première, il a plutôt décidé de ne plus me fréquenter ! Pis, il fait maintenant
équipe aux cartes avec le curé retraité du septième étage. Misère !
Comme tu le vois mon
cher frère, il suffit de peu pour que la vie en résidence devienne un enfer. Tu
me connais, je suis d’un naturel très affable, mais là, je me suis mise à rêver
que la belette tombait malencontreusement de son balcon ou qu’elle attrapait
une grosse pneumonie qui l’obligeait à aller terminer ses jours dans un CHSLD.
Or, rien de tel ne s’est encore produit. J’ai donc dû me résoudre cette
semaine à remettre mon fourbi dans les boîtes. J’attends maintenant qu’un
logement se libère sur un autre étage pour retrouver, je l’espère, une vie
normale.
Je vous trouve bien
chanceux, ton épouse et toi, de vivre dans un haut de duplex avec votre fille
au rez-de-chaussée, toujours prête à vous aider. N’hésite pas à m’écrire quand
tu le pourras : il me fait toujours plaisir d’avoir de tes nouvelles.
Ta sœur qui t’aime, Jacinthe
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