L'homme-phare de Magog
Je
tourne en rond depuis près de vingt minutes : où donc se trouve le 69 rue
des Tourterelles-tristes ? Ah, le voici. Une entrée discrète entre deux haies
de cèdres. J’aime. Bon, je suis pile à l’heure. Je me gare et vais sonner chez
ma nouvelle Beauté désespérée. Madame m’accueille en peignoir et mules
de fourrure. Je suis habitué, je dirais même que ça fait partie du métier. Je
m’arrange pour arriver chez mes clientes tôt le matin, après le départ du mari.
Vous comprendrez facilement que je n’aime pas avoir Monsieur dans les pattes pendant
que je travaille.
Avant
d’être sur les routes de Magog, je travaillais comme serveur dans un restaurant
chic de la rue Principale. C’est là que j’ai compris l’avantage que je pouvais
tirer de ma jeunesse – j’ai 28 ans – et de mon physique avantageux que
j’entretiens à coup de visites au gym et au salon de bronzage. Je sais, bronzer
n’est pas bon pour la santé, mais que voulez-vous, il faut savoir faire des
sacrifices pour plaire aux dames. Toujours est-il qu’au restaurant, les femmes
esseulées me donnaient beaucoup plus de pourboire que les hommes ou les
couples. Certaines exigeaient même une table dans ma section. Aussi, quand j’ai
eu assez d’argent pour m’acheter un camion Ford F-150 tout noir avec des jantes
chromées, j’ai décidé de me lancer en affaires. Vive la liberté. Ma sœur a
accepté de m’aider en prenant les commandes et en organisant mon planning. Pas
plus de deux clientes par jour, lui ai-je expliqué : cela suffira
amplement à te payer un salaire raisonnable et à me permettre de profiter de la
vie.
Une
fois passée la porte de ma cliente, c’est moi qui prend le contrôle des
« opérations ». Oh, ne vous en faites pas : elles ne demandent
pas mieux. Si par malheur le mari est là, c’est une tout autre histoire. Cela
signifie que Monsieur veut participer aux « opérations ». Je dois
alors me montrer ferme et l’inviter à aller prendre l’air. Je déteste
travailler à trois.
Généralement
les clientes sont faciles et acquiescent à toutes mes demandes. Je me méfie
cependant de celles qui en font trop, car très souvent cela signifie qu’elles
veulent des finitions particulières, du genre qu’elles ont vu sur l’Internet.
J’explique alors patiemment à ces dames que, primo, je m’en tiens aux finitions
régulières et que, secundo, si elles en veulent plus, elles devront soit payer
un supplément soit faire appel à quelqu’un d’autre. Généralement, cela suffit à
tempérer leurs ardeurs. Elles comprennent que l’Internet et la réalité sont
deux choses très différentes.
Une
fois ma « job » terminée, je prends la porte rapidement. Pas question
de rester pour manger ou faire la conversation. Les termes de mon contrat sont
clairs à ce sujet : si le rendez-vous dépasse le temps alloué, il y a
surcharge. Cependant, s’il est question de me référer d’autres clientes ou de
prendre rendez-vous pour une autre « job », là je prends tout mon
temps. Je laisse quelques cartes de visite et, avec un large sourire, je quitte
ma cliente en lui laissant entendre que j’espère la revoir bientôt.
Je
retourne à mon camion F-150 satisfait du devoir accompli. Sur chaque portière
j’ai fait peindre ma publicité : Alex Hendrie, un phare dans
l’installation de portes au Québec !
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