Ma paramentique
J’ai
passé une bonne partie de mon enfance à servir la messe. Dans l’exercice de mes
fonctions, je portais une soutanelle à quarante boutons revêtue d’un beau
surplis en dentelle blanche. Ma soutanelle était noire pour les messes basses
et les grand-messes, rouge pour les grandes occasions comme la Fête-Dieu et
Pâques.
En
soutanelle noire, je déplaçais le gros missel du célébrant d’un côté à l’autre
de l’autel, j’apportais les burettes et la serviette, je sonnais la clochette
au moment de l’Offertoire, et je tenais la patène sous le menton des
communiants. Aussi bien dire que c’est moi qui disais la messe tant je faisais
tout de l’Introït à l’Ite missa est.
Il en
allait tout autrement quand je portais la soutanelle rouge. Mon rôle se
résumait alors à être thuriféraire, celui qui porte l’encensoir, céroféraire, celui qui porte le cierge, ou
cruciféraire, celui qui porte le crucifix. Un jour, j’ai même été le
porte-mitre de l’évêque lors d’une Confirmation. Moins chanceux, mon ami André
a été porte-crosse, ce qui lui a valu par la suite plusieurs blagues salées à
l’école. Côté salaire, je touchais 0,05 $ pour une messe basse et 0,10 $ pour
une grand-messe ou une messe basse à sept heures du matin à l’Hospice
Saint-Maurice, alias le Mouroir. Je gagnais suffisamment pour voir un film à la
salle paroissiale le dimanche après-midi et me payer un sac de bonbons.
Tout ça
pour vous dire que mon amour de la scène ne date pas d’hier. Ni d’ailleurs mon
goût pour les robes et les accessoires ostentatoires. C’est en servant la messe
que j’ai appris à surmonter mon trac, à regarder l’assistance dans les yeux et,
plus important, à la faire réagir sur commande. Quand je me mettais à genoux,
tous les fidèles se mettaient à genoux. Quand je sonnais la clochette, tous
baissaient les yeux. Quel pouvoir j’avais ! C’est à l’église que j’ai ressenti
pour la première fois l’ivresse d’être sur une scène.
C’est
aussi à cette époque que j’ai compris que mon pouvoir tenait en bonne partie au
fait que je n’étais pas habillé comme le commun des mortels. Une fois adulte,
il n’a donc pas été question pour moi d’entrer en scène vêtu d’un traditionnel
habit trois-pièces comme Michel Louvain, encore moins d’une simple veste à
carreaux comme Paul Piché. Il fallait que je sois différent de mon public.
C’est ainsi que j’ai commencé à m’habiller en femme et que j’ai développé ma
paramentique personnelle. Le mot est dit : vous vous demandez sans doute
ce qu’est une paramentique. Eh bien, sachez que ce terme désigne pour l’Église
l’ensemble des vêtements, coiffes et ornements utilisés dans la liturgie. Dans
mon cas, elle désigne mes grandes robes à traîne, mes coiffures, mes plumes de
boa (non, d’autruche, le boa c’est autre chose), mes talons hauts et, surtout,
ma divine collection de faux seins et de faux popotins.
C’est
moi qui ai créé toute ma paramentique. Au début, je faisais confectionner mes
robes par mes amies de fille. Maintenant, je fais le gros du travail, puis je
confie la finition à des stagiaires en couture du Collège Marie-Victorin. Idem
pour les accessoires. C’est pas monsieur le curé qui aurait cousu sa soutane.
Je doute fort qu’il ait même été capable de repriser ses affreuses chaussettes
noires.
Une
dernière chose que j’ai retenue de mon enfance à l’eau bénite (dixit mémé
Bombardier), c’est de ne jamais être seul sur scène. Je m’entoure toujours de
deux jeunes hommes bien proportionnés que j’habille d’un surplis moulant
en dentelle noire et d’un cache-sexe lamé d’argent. Je les appelle mes
« orchiféraires » (je vous laisse deviner le sens de ce mot) ou, quand
ils gaffent, mes « servants de fesse ». Comme quoi, s’il m’a été
facile d’entrer dans un corps de femme, il m’est beaucoup plus difficile
d’oblitérer mon éducation religieuse.
Si ça
vous intéresse de me voir sur scène, je vous invite à venir au Cabaret Chez Rita. Du jeudi au dimanche,
j’y donne deux spectacles chaque soir, un à 21 h et l’autre vers minuit. Le
droit d’entrée est de 5 $ seulement. Je vous garantis que vous ne
baisserez pas les yeux au moment de l’Offertoire.
Marc
Poitras, alias Angelica
P.S. N’hésitez pas à amener votre
conjoint. Il nous fait toujours plaisir de voir de beaux hommes.
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