Le livre d'avril
Pourquoi
a-t-il fallu que je naisse en avril ? C’est le pire mois de l’année : au début quelques beaux jours de chaleur qui, chaque année, nourrissent un
faux-espoir de printemps ; puis, vers la fin, des giboulées qui nous font regretter
d’avoir posé nos pneus d’été quand il faisait chaud. Tout ça entrecoupé de
journées froides et pluvieuses qui rappellent à mes articulations l’usure du
temps. Le seul sport extérieur qu’on peut pratiquer en avril est le démontage des
abris Tempo. S’il devient olympique, la compétition aura-t-elle lieu pendant
les Jeux d’hiver ou d’été ? Avril me cantonne à la maison au coin du feu. Et je
ne vous parle pas de la pandémie qui me confine à la solitude et qui va
m’obliger à être l’unique convive en présentiel pour fêter mes soixante-cinq
ans.
Heureusement,
je me suis abonné il y a deux ans au club de lecture de ma bibliothèque. Chaque
mois, je reçois un nouveau livre que je lis, puis commente lors de la rencontre
virtuelle des membres. Justement ce matin, j’ai reçu le livre de ce mois-ci :
« Une vie bien remplie » de Paule Molinie. Cette auteure m’est
totalement inconnue. Pas grave, ce livre va m’aider à traverser avril. De plus,
j’aime les biographies et les autofictions. Elles sont ancrées dans la réalité
et me permettent de découvrir l’Histoire sous des angles personnels.
Bon,
j’ajoute une bûche au foyer et hop, je saute dans mon fauteuil préféré, un
Queen Ann muni d’un repose-pieds et de larges bras coussinés sur lesquels je
pose ma planche de lecture. À ma droite, un guéridon où repose ma théière de
thé vert, du sencha biologique, et la fine tasse de porcelaine québécoise que
ma fille m’a offerte il y a trois ans. Je peux commencer à lire.
L’histoire
débute plutôt lentement. L’auteure consacre plusieurs pages à la rencontre des
parents du héros, à leurs longues fréquentations (dans ce temps-là, il fallait
la permission de l’employeur pour se marier), et à un mariage précipité par une
grossesse accidentelle. Tiens, un peu comme moi qui ai été conçu en dehors des
liens sacrés du mariage. S’ensuit l’enfance du héros dans un quartier de Cône
Orange que je connais bien : le Plateau Mont-Royal. Michel Tremblay a
également grandi dans ce quartier. J’ai maintenant hâte de connaître la suite.
Ô hasard, le héros fréquente la même école primaire que Michel Tremblay et,
accessoirement, moi : l’école Saint-Stanislas. Se pourrait-il qu’il
ait rencontré l’illustre auteur de notre québécitude ? Ensuite, le héros fait
son secondaire au Collège Jean-Eudes, puis des études en comptabilité aux HEC.
Je dépose le livre. C’est trop fort. Le personnage a un parcours semblable au
mien. J’ai dû le rencontrer, c’est comme rien. Le déclic se produit un peu plus
loin quand le héros rencontre la femme de sa vie. Le portrait tout craché de ma
défunte épouse ! Bon sang de bonsoir, c’est ma vie ça, pas celle d’un
autre.
Je me
mets à feuilleter rapidement le reste du livre. Au centre, quelques photos en
noir et blanc de moi prises à différents moments de ma vie. Puis, des dizaines
de pages blanches jusqu’à la toute dernière où je trouve ce mot écrit à la
main : « Cher papa d’amour, même si je ne peux être avec toi, je
te souhaite un merveilleux soixante- cinquième anniversaire de naissance. Que
ta retraite en Estrie continue de te combler de bonheur : tu l’as bien
méritée. N’hésite surtout pas à écrire la suite de ta vie dans ce livre. Ta
fille qui t’aime, Amélie (Poulin) alias Paule Molinie. »
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