영감을 주는 베아트리체

 

(Traduction : Inspirante Béatrice)

Une jeune femme a exercé une grande influence sur ma vie. Elle se prénomme Béatrice (« porteuse de bonheur ») et a aujourd’hui trente-deux ans. Détrompez-vous, ce n’est pas ma fille : c’est celle de ma meilleure amie.

J’ai vu naître et grandir Béatrice. À la puberté, elle a découvert les mangas japonais et la K-pop coréenne. Ce fut une révélation pour elle. Les murs de sa chambre se sont rapidement couverts de posters de Big Bang, 2PM et SHINee, des groupes de garçons à peine plus âgés qu’elle. Je crois bien que c’est à moment-là qu’elle s’est fixée comme but dans la vie de devenir asiatique (sic !)

Au grand dam de sa mère, Béatrice a alors commencé à s’habiller à la japonaise : des bas blancs mi-mollet dans des souliers vernis noirs, une blouse sans dos (backless shirt) sous une veste damassée et, surtout, une petite culotte à froufrous ornée de motifs enfantins, portée sous une minijupe plissée. Mais c’est la mode au Japon, répondait-elle à sa mère qui l’enjoignait sans cesse de s’habiller plus décemment. Il vous faut savoir que Béatrice a fait son secondaire dans une école multi-ethnique de Montréal et qu’elle n’était pas la seule à se pavaner dans des atours exotiques et sexy. En bonne néo-japonaise, Béatrice a porté son linge de fillette jusqu’à l’âge adulte, et même un peu au-delà.

Au cégep, Béatrice a suivi des cours de japonais. Elle a aussi commencé à fréquenter les bars asiatiques de Montréal. Cela lui a permis de vivre ses premiers émois amoureux ainsi que sa première grande peine d’amour. Elle a poursuivi avec brio ses études asiatiques à l’université, ce qui lui a valu un stage de six mois à Osaka pour enseigner l’anglais à des samouraïs de sept ans. Là-bas, elle s’est retrouvée dans une pension pour étudiants étrangers. C’est au cours de ce stage qu’elle a découvert la xénophobie des Japonais. Plusieurs établissements affichaient « Interdit aux gaijin ». Certains lieux étaient aussi interdits aux gaikokujin, c’est-à-dire aux Chinois et aux Coréens! Qu’à cela ne tienne, Béatrice a persévéré dans ses études asiatiques. Elle a obtenu son baccalauréat cum laude et décroché un second stage au Japon pour parfaire sa maitrise de la langue. Encore une fois, elle s’est retrouvée avec des colocs étrangers. Encore une fois, elle s’est sentie tenue à l’écart de la société japonaise. Mais, cette fois-ci, un stagiaire coréen prénommé Yong-rae (« héros à venir ») est tombé amoureux d’elle et l’a amenée passer un mois dans sa famille en Corée du Sud. De retour au Québec, Béatrice a immédiatement fait sa demande pour émigrer en Corée. Sa candidature acceptée, elle a vendu tous ses biens et est partie rejoindre Yong-rae.

Le couple file le parfait bonheur en banlieue de Séoul. Il y a deux ans, j’ai reçu la photo de leur premier enfant : une petite fille prénommée Harin (« Brillante »). Un second est en route, m’a-t-elle écrit cette année. Chanceuse comme pas une, Béatrice s’est trouvé un très bon emploi là-bas : elle sous-titre en français des films et des téléséries coréennes pour Netflix.

Vous vous demandez sans doute quelle a été l’importance de Béatrice pour moi? Je vous répondrai qu’elle représente à mes yeux un modèle de persévérance et de résilience. Elle a osé aller au bout de ses rêves et a réussi à atteindre ses objectifs. Pendant ce temps-là, j’ai végété comme fonctionnaire dans une petite municipalité québécoise et n’ai jamais voyagé ailleurs qu’au Québec.

Aussi, elle a été capable d’ajuster ses ambitions lorsque la réalité l’a déçue. Je l’envie beaucoup parce qu’elle s’est taillée une place dans une humanité devenue à mes yeux infiniment complexe et, surtout, hyper compétitive.

Maintenant que j’ai pris ma retraite, mon rêve est d’aller lui rendre visite et de la serrer dans mes bras. Je profite actuellement de la pandémie pour apprendre quelques mots de hangeul et accumuler des wons. Si tout va bien, je vous enverrai l’automne prochain une carte postale à l’effigie de Yoon Suk-yeol, le nouveau président de la Corée du Sud.




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