Ma première visite au zoo
C’est la fin de ma première année au
collège classique, celle qu’on appelle les Éléments latins. Les Pères ont
décidé d’amener au Jardin zoologique tous les élèves qui ont réussi leurs
examens. Ne me demandez pas comment, mais je fais partie des heureux élus. Mon
titulaire m’a dit que j’avais passé par la peau des dents. Faut dire que je
n’apprends pas vite et qu’il faut m’expliquer plusieurs fois. Aujourd’hui, on
me diagnostiquerait sans doute un TDAH. Mes camarades de classe, toujours
prompts à se moquer des faibles, avaient posé leur propre diagnostic :
j’étais une tortue. Une tortue que le collège gardait parce que mes parents
étaient riches et influents. Rien de bon pour mon image.
L’autobus
scolaire démarre à neuf heures pile. À bord, la fête commence aussitôt avec un
chant de circonstance :
« Conducteur,
conducteur,
Dormez-vous,
dormez-vous,
Pesez
donc su’l’ gaz, pesez donc su’l’ gaz
Ça marche pas, ça marche
pas! »
Deux heures trente plus tard : l’autobus s’immobilise dans le stationnement du zoo. Les Pères poussent un long soupir de soulagement.
La
plupart d’entre nous n’ont jamais visité un jardin zoologique. Nous sommes donc
impatients de voir les éléphants, les girafes et, surtout, les singes. Pas tout
de suite, nous dit le Père Rabat-Joie : nous devons d’abord manger notre
lunch sur les tables à pique-nique. Pas question d’entrer au zoo avec de la
nourriture et de donner son sandwich ou sa banane à un pensionnaire. Nous
dévorons notre lunch à toute vitesse.
Aussitôt
à l’intérieur, nous nous mettons à courir de cage en cage. Devant certaines, il
y a une machine distributrice de moulée. Moyennant une pièce de monnaie, on
peut nourrir les cerfs de Virginie, les agneaux ou les chèvres. Bientôt,
j’arrive devant un grand totem amérindien planté sur un îlot au centre d’un
étang à tortues. J’entends ricaner dans mon dos. Avant que j’aie le temps de me
retourner, deux paires de bras me soulèvent et me lancent dans l’étang au cri
de « Tiens la tortue, va rejoindre tes semblables! ». Je me retrouve
assis dans vingt centimètres d’eau, entouré de tortues peintes. Aux rires de
mes camarades, je réponds par mes pleurs. Bientôt un gardien d’animaux arrive
pour me sortir de ma fâcheuse position. Il est suivi d’un Père en colère qui
intime à mes camarades de classe d’aller voir chez les ours s’il y est.
Le
gardien m’amène dans le vestiaire des employés où je prends une bonne douche
chaude pendant que le Père rince mes vêtements, puis les met dans le
sèche-linge. Moins d’une heure plus tard, je suis prêt à reprendre ma visite du
zoo. Un instant, me dit le gardien, viens avec moi, c’est l’heure du repas des
otaries. Ne voulant pas manquer le clou de la visite, je m’empresse de le suivre.
Mes camarades sont déjà assis dans les gradins devant le bassin où s’ébattent
quatre otaries. Au lieu de m’envoyer les rejoindre, le gardien me fait chausser
de grandes bottes de caoutchouc et me tend un seau rempli de poissons. Je monte
avec lui sur la plate-forme qui surplombe l’eau. À son coup de sifflet, une
otarie saute hors de l’eau. Je lui lance un poisson directement dans la gueule.
Et, on recommence avec une autre otarie. Deux fois, cinq fois, dix fois.
L’assistance fait des Oh! et des Ah! d’envie. Le spectacle terminé, nous allons
sur la petite plage où je lance à l’eau un à un les poissons restant dans mon
seau. Une otarie sort de l’eau et vient me tapoter le mollet avec sa nageoire.
Je lui donne un poisson. Aussitôt, tout le monde applaudit dans les gradins. Un
Père, très fier de son élève, prend des photos.
Inutile
de vous dire qu’au retour, je flotte sur un nuage. Mes camarades de classe me
témoignent du respect maintenant. Fini de me faire traiter de tortue.
Dorénavant, pour eux, je suis l’entraîneur d’otaries!
Jardin zoologique de Québec vers 1960 |
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