Avec un seul espoir en tête
Adolescent, Fabrice était sûr de lui. À en friser la suffisance. Il avait un physique agréable, une taille et une musculature qui lui permettaient de pratiquer tous les sports, surtout le hockey. Sa beauté lui valait d’avoir plein d’amis et de jouir de l’indulgence de ses parents. J’oubliais de vous dire qu’il avait des yeux pleins de candeur et des cheveux bouclés châtain clair. Les traits de son visage étaient ainsi tournés que Fabrice semblait toujours sourire, toujours être heureux.
Or, c'était loin d'être le cas : Fabrice souffrait d’un manque cruel d’intelligence. Déjà au secondaire, il enviait ses amis de comprendre rapidement les mathématiques, les sciences. Même la biologie, une science pourtant facile, restait un mystère pour lui. Écologie, photosynthèse, méiose : ces mots n’allumaient aucune lumière dans son cerveau.
Fabrice devait son diplôme d’études secondaires à l’aide apportée par ses amis et à la clémence des enseignants. Idem pour son diplôme d’études collégiales. Aussi, quand le temps fut venu de faire sa demande d’admission à l’université, il ne prit même pas la peine de remplir le formulaire. Pourquoi faire, se dit-il? Pour mieux étaler mon inintelligence? Non, merci!
Fabrice choisit plutôt de gagner le marché du travail. Son entrée fut facile : tous les gérants de restaurant le voulaient pour servir aux tables. Fabrice aimait travailler avec le public qui le lui rendait en généreux pourboires. Son estime de soi s’améliora pendant quelques années, jusqu’à ce qu’il prenne conscience que jamais il n’irait plus haut, que toujours il vivrait maigrement. Son visage se teinta alors d’une mélancolie qui ne le quitta plus.
D’anciens confrères de classe venaient manger à son restaurant. Ils arrivaient parfois en couple, parfois en auto, parfois en auto et en couple. Deux rêves sur lesquels Fabrice avait fait une croix. Certes, il y avait bien eu Béatrice avec qui il était sorti trois fois et fait l’amour pour la première fois de sa vie. Mais, elle lui avait rapidement fait comprendre qu’il n’était pas assez allumé pour elle. Lisait-il? Non! Parlait-il anglais? Non! Faisait-il de la musique ou de la peinture? Non et non! Seuls intéressaient Fabrice les jeux vidéo, les gadgets qu’il pouvait se payer, et le hockey.
Vous pensez que cette histoire finit mal? Détrompez-vous ! Avec le temps, la plupart du monde trouve une façon d’être heureux. Appelez cela de la résilience si vous voulez. Moi, je dis que c’est de la biologie. Tout animal, même l’humain, finit avec un peu de chance par trouver une façon de survivre, de se reproduire même.
Parlant de reproduction, à trente ans Fabrice rencontra la femme de sa vie. De cette union naquirent Mathieu, puis Ariane. Inutile de vous dire le nom de la femme : elle est disparue du portrait peu après la seconde naissance.
Cette séparation, Fabrice n’en fit pas une affaire personnelle. La même chose était arrivée à plusieurs de ses connaissances. De plus, il avait maintenant deux trésors à chérir, certes en garde partagée, mais lui appartenant tout autant qu’à elle. Deux bonnes raisons de vivre, d’être enfin heureux. Avec un seul espoir en tête : que ses enfants soient plus brillants que lui. Afin que leur vie soit meilleure que la sienne.
Je sais tout cela parce que Fabrice est mon meilleur ami depuis trente ans.
P.S. Une autre fois, je vous raconterai l’histoire de notre amitié.Source : unjobenville.com
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