(2 de 3) Super Serge
Ma pancarte clame haut et clair « À
bas les pédo-politiques ». Je suis entouré d’adeptes de Q-Anon qui croient
dur comme fer qu’Hillary Clinton a mangé des bébés dans le sous-sol d’une
pizzéria de Washington. Nous scandons inlassablement « Let’s go
Brandon » devant le Capitole de l’état de New York à Albany. La fin de
semaine prochaine, je manifesterai à Columbus devant le Capitole de l’Ohio.
Puis, ce sera le tour de celui du Texas… S’il me reste du temps, j’irai aussi
manifester à Ottawa pour le pétrole albertain. À chaque fois, j’exercerai le
super pouvoir que j’ai inopinément reçu du ciel il y a trois ans.
À ce moment-là, j’étais attablé à la
terrasse de la cantine Chez Paul sur la rue Principale à Magog. Je dégustais
tranquillement une poutine format familial à la viande fumée quand tout à coup,
un camion Ford F-350, garé dans un espace réservé aux voitures électriques, a
pris feu et explosé, projetant dans les airs une trentaine de CD de Céline
Dion. L’un d’eux a percuté un transformateur électrique, pourtant haut perché
sur un poteau d’Hydro-Magog, lequel s’est aussitôt déchargé dans le câble de
mise à la terre qui, par un hasard qu’encore aujourd’hui je ne peux expliquer,
a plutôt fait une mise à l’eau dans une flaque qui s’étendait jusque sous mes
Crocs bleus. J’ignore si ce sont les frites mal cuites, la sauce brune trop
salée, la viande fumée trop grasse, ou une combinaison de ces ingrédients,
toujours est-il que j’ai alors ressenti une immense chaleur m’envahir. De
retour à la maison, j’ai réalisé que mon scrotum avait quadruplé de volume et
qu’il émettait une bizarre de lumière verte. En me couchant ce soir-là, j’ai
souri en pensant qu’à défaut d’avoir la jeunesse ou la masse musculaire de
l’incroyable Hulk, j’avais maintenant ses testicules.
Il m’a fallu presque un an pour
découvrir mon super pouvoir. Un samedi pluvieux de novembre, mon voisin de
palier, un jeune col bleu à cou rouge, est venu me demander à voix basse si
j’avais des Viagra ou des Cialis à lui vendre, car, prit-il la peine de
m’expliquer, il ne parvenait plus à faire durcir son membre seul ou avec
d’autres. Après lui avoir répondu que je n’avais nullement besoin de recourir à
de tels expédients pour assouvir mes bas instincts – lui laissant ainsi
sous-entendre que lesdits bas instincts existaient bel et bien – je l’ai référé
à mon amie infirmière praticienne. Avant de lui prescrire la pilule bleue du
septième ciel, elle a tenu à lui faire passer des tests dans une clinique de
fertilité. Cela lui a permis de diagnostiquer non pas un niveau d’hormones trop
bas ou un défaut érectile quelconque, mais une stérilité totale et permanente.
Puis, ce fut au tour de ma voisine du
rez-de-chaussée – j’habite dans l’ancienne usine de la Dominion Textile enfin
convertie par la ville en logements pour personnes à revenus modestes – de se
plaindre d’une perte de jouissance et de ne plus avoir de pertes de sang. Je
crois bien que c’est là que j’ai eu la puce à l’oreille et que j’ai mis la main
dans mon pantalon pour m’assurer que je ne souffrais pas du même problème de
jouissance malgré ma jeune soixantaine.
Que nenni ! À part l’étrange lumière
verte qui me permettait de lire au lit le soir, tout était normal. J’ai alors
émis l’hypothèse que l’état de mes bourses était peut-être responsable de la
stérilité de mes voisins. À ce moment-là, en bon scientifique que je suis, j’ai
décidé de tester mon hypothèse. Le samedi suivant, j’ai rejoint devant
l’Assemblée nationale un éminent mathématicien montréalais d’origine congolaise
et ses disciples pour manifester contre les contraintes sanitaires imposées au
peuple québécois au nom d’un prétendu virus. Deux mois plus tard, j’ai récolté
les résultats de mon expérience : tous les manifestants s’étant trouvés à
moins de vingt-cinq mètres de moi étaient devenus stériles, le matheux en
premier. La preuve était faite et, en plus, je connaissais maintenant le rayon
d’action de mon super pouvoir.
Depuis, je manifeste partout en
Amérique, vêtu d’un grand T-shirt jaune portant, de face comme de dos, trois
gros S entrelacés bleu et rouge. Quand je vais en avoir fini avec les
complotistes, je vais commencer à stériliser les cabochons qui croient que la
terre est plate. Puis ce sera le tour des climatosceptiques qui, comme Maxime
Bernier, nient l’existence des changements climatiques sous prétexte qu’il est
normal pour l’humain d’expirer du gaz carbonique et de péter du méthane, celui
des membres de la NRA, celui des djihadistes d’Al-Qaïda, celui des talibans
afghans…
Commentaires
Publier un commentaire