Balade en Estrie par un beau dimanche d'octobre

 

    Sam[1], es-tu prête?

    Dans une minute, Raymond. Je finis de remplir la glacière.

Je veux simplement faire une petite balade en voiture, question de voir les couleurs de l’automne, mais Sam, ma conjointe depuis quatre décennies, voit la chose autrement. Pour elle, nous partons en expédition! D’où le gros lunch, la glacière contenant des jus, des boissons gazeuses et de l’eau – il paraît qu’à notre âge, on est vite déshydraté – et du linge au cas où. Au cas où quoi? Je l’ignore. Un bidon d’essence avec ça?

Bon, ça y est, Madame est prête, on peut partir. Pour où demande-t-elle avec un soupçon d’inquiétude dans la voix. Pour un nowhere que je lui réponds, en ajoutant pour la rassurer, direction Baldwin Mills. 10-4, reçoit ma navigatrice en allumant le GPS. Aussitôt une voix chaude et virile demande notre destination. Baldwin Mills répond Sam toute heureuse de converser avec un jeune inconnu.

Une pancarte annonce Tomifobia sur notre gauche. Au  croisement, je tourne. Zut, un chemin de terre. J’avais oublié que plusieurs routes de la région ne sont pas encore pavées. Tant pis, je vais en être quitte pour laver la Batmobile au retour. Nous grimpons quelques côtes. De chaque côté de la route, les feuillus sont déjà parés des couleurs annonciatrices de la grande Blancheur hivernale. J’ai hâte d’arriver au sommet et de contempler le lac Massawippi dans son écrin multicolore.

Le jeune homme du GPS me dit de tourner à gauche au prochain croisement. Je m’exécute et me retrouve illico dans l’entrée d’une ferme. Heureusement, nous croisons un cheval qui promène son cavalier. Il m’avise que j’ai tourné trop tôt, opinion que partage Sam. Pendant que le GPS recalcule notre course, j’arrive à la bonne intersection. Je tourne à droite (erreur du conducteur qui n’écoute pas assez les autres). Allons voir par là ce qui s’y trouve, pensé-je à voix haute. Comme à chaque fois que je ne respecte pas l’itinéraire prévu, Sam ronchonne et le GPS recalcule. D’un geste autoritaire, j’impose le silence à tout le monde en fermant le GPS.

Je ne crois pas avoir roulé plus d’un kilomètre quand, tout à coup, Sam crie « une moufette ». Trop tard, je ne peux éviter à l’animal un funeste destin, tout concentré que j’étais à contempler le paysage. Aussitôt une odeur, très définissable et surtout nauséabonde, envahit l’habitacle. J’ai beau baisser toutes les vitres et mettre le ventilateur au maximum, rien n’y fait ! Tant pis, on continue. Raison de plus pour nettoyer la Batmobile de fond en comble au retour.

Nous arrivons enfin au sommet de la colline. La vue est telle que je l’imaginais, MA-GNI-FI-QUE. En bonus, une immense volée de bernaches se dirigent vers le sud, c’est-à-dire dans notre direction.  Enviant ces volatiles qui vont passer l’hiver au chaud pendant que je vais me les geler jusqu’en mai, je lève la tête pour les saluer. Presque aussitôt, je commence à recevoir leur excédent de bagages. Pendant que Sam court se réfugier dans l’auto, je reste sur place à pester et blasphémer après l’engeance ailée, laquelle continue son délestage tout en se cacardant de moi. Je ne suis pas d’un naturel violent, mais je vous jure que si j’avais eu une mitrailleuse PK entre les mains, j’en aurais descendu suffisamment pour nourrir tout le Sud-Soudan pendant une semaine.

Je reviens à l’auto en laissant mon p’tit bonheur tout en pleurs sur le bord du fossé. Qu’est-ce qu’on fait ? demande Sam tout doucement, pour ne pas jeter de l’huile sur mon feu intérieur. On rentre à la maison, Tabarnak !

Je crois connaître le chemin du retour, mais je ne fais que m’égarer davantage. Enfin, je vois au loin la ferme d’élevage de bisons du père Côté. Comme je m’approche, je remarque que le chemin est barré : entre tous les jours de l’automne, le père Côté a choisi ce dimanche-ci pour changer son troupeau de pacage. Je resterais volontiers pour observer la migration de ces grands ruminants des Prairies tout en savourant un délicieux sandwich au bœuf fumé, mais je sais que le père en a pour des heures à convaincre une à une ces grandes têtes vides que l’herbe est plus verte de l’autre côté du chemin.

Je recule donc, vire de bord en faisant crisser mes pneus, et repars vers la maison. Cette fois-ci, mon espérance n’est pas trahie : j’aperçois la route 141 devant moi. Enfin de l’asphalte et une route familière. Home Sweet Home, nous voici. J’embarque sur la 141 et pèse sur le champignon. Plus question de regarder le paysage. Je veux me changer, laver l’auto, …

Un bruit de sirène me tire de ma rêverie. Il ne manquait plus que ça. J’ai beau expliquer au policier que si je veux un ami, je vais aller chez Jean Coutu, rien n’y fait : l’agent ressent un besoin impérieux de me parler, plus exactement de me verbaliser. Je vous épargne les détails, mais je vous promets que la prochaine fois, j’aurai mon permis de conduire sur moi.

Une fois à la maison, je laisse Sam ranger les affaires - après tout, c’est elle qui les a sorties - et vais me changer. Je ressors du garage avec mon souffleur et mes protège-oreilles. S’il y a un sport que j’aime pratiquer en automne, c’est bien celui de souffler toutes les feuilles mortes de notre terrain au bord du chemin. S’il y en a un autre que j’aime pratiquer à l’année longue, c’est le lavage de mon auto. Donc, après avoir soufflé les dernières feuilles au sol, je mouille, shampouine, rince et chamoise ma Batmobile tout en regardant le soleil descendre lentement derrière le mont Éléphant.

L’odeur nauséabonde et tenace de la moufette va me rappeler longtemps cette balade en Estrie par un beau dimanche d’octobre.

 



[1] Le véritable prénom de ma tendre moitié est Laurette. Son surnom lui vient de notre fils qui, tout jeune, l’appelait « sa mère » par affection. Plus tard, le « sa mère » est devenu Sam, un surnom que j’ai à mon tour adopté.

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