Dans une unité prothétique près de chez vous
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Allô
papa! Regarde qui je t’ai amené aujourd’hui…
Le
visage du paternel s’illumine à la vue de Ginette, sa conjointe depuis près de
dix ans. Galant, il veut se lever pour lui céder son fauteuil berçant, mais
Ginette le retient d’un bec sur le front. Reste assis Roger, lui dit-elle, je
vais m’asseoir sur le lit.
Comme
Ginette va déposer son postérieur, elle aperçoit une paire de mules en soie
rose à ses pieds. Ne vous méprenez pas : ses pieds n’étaient pas dans les
mules, mais juste à côté. Kécéça? qu’elle s’exclame! Y-a-tu une femme
qui a passé la nuitte dans ton litte Roger?
Ne
comprenant pas la question, papa se met à bredouiller que sa cousine est venue
le visiter hier soir. Quelle cousine? demande Ginette en haussant le ton. Bon
sang, j’ignorais que les femmes pouvaient être encore jalouses passé 80 ans.
Faut dire que nous, les Parent, sommes
beaux, fins et intelligents. Y’a donc de quoi être jalouse, même à un
âge avancé.
Pour
rassurer Ginette, et ramener la bonne humeur dans la pièce, je lui rappelle que
papa a subi une prostatectomie à 65 ans, et que les autres femmes de l’étage
sont beaucoup moins belles qu’elle. Je n’ose ajouter que la maladie les a depuis
longtemps détournées de la chose (en italique dans ma tête). Je regarde
papa en souriant et lui dit, d’un air complice, « Ah, l’amour! »
Aussitôt, mon géniteur se met à chanter : « Plaisir d’amour ne dure
qu’un instant, chagrin d’amour dure toutes mes dents ». Je ne suis pas sûr
qu’il ait dit le mot dents, mais c’est exactement à ce moment-là que je
réalise que mon paternel n’a pas les siennes.
Aussitôt
je me mets à la recherche de sa denture. Fouille la table de chevet, la
commode, la poubelle. Rien. Y peuvent pas être bien loin ses saudites
dents : la chambre est minuscule. Après dix grosses minutes à marcher à
quatre pattes, une activité que je ne pratique plus depuis mon divorce,
j’abandonne ma quête. Je demande à Ginette de s’occuper de papa pendant que je
vais quérir la préposée de l’étage.
Je
trouve la préposée dans la salle de bain en train de prendre sa pause tout en
donnant un bain à celle que je surnomme Blanche-Neige en raison de sa peau plus
blanche que ma salle de bain. En me voyant, Blanche-Neige lâche un cri de mort.
Aussitôt, la préposée, tel l’écho, répond par un gros Tabarnak bien
senti. Je comprends que je dois respecter sa pause syndicale. Je referme la
porte et la fixe du regard pendant un bon dix minutes. Après quoi, par la seule
force de ma pensée, la porte s’ouvre et laisse passer ma nouvelle immaculée
vêtue d’un peignoir à capuche rouge. Ayant déjà oublié mon entrée intempestive,
elle minaude en passant devant moi. Je lui réponds en montrant les dents
« Attention mon petit Chaperon rouge, le gros méchant Loup va te
manger ». Elle s’éloigne en riant. Sort à son tour la préposée dont
j’apprendrai le prénom en lui demandant gentiment où sont les dents de mon
géniteur. J’le sais-tu moé où sont les organes de ton père? me répond-elle sur
un ton où je sens une légère pointe de colère. J’ai-tu l’air de m’appeler
Agatha Christie ou Fabienne Larouche? Je veux répondre que non, je ne pense
pas, mais elle ne m’en laisse pas le loisir. J’m’appelle Claudette, pis non,
suis pas une Dion, ni une devinesse. Retrouvant soudainement l’usage de
ses fonctions d’employée, elle me demande sur un ton radouci si j’ai été voir
dans les autres chambres. Je bafouille un Heu, non! Viens mon beau, me dit-elle
en me donnant une claque sur les fesses (#metoo), on va les chercher ensemble
les dentiers de ton paternel. Mon physique irrésistible a, encore une fois,
fait son effet sur la gent féminine.
Comme
nous arrivons à la hauteur de la chambre de papa, un préposé basané bien
baraqué en sort, pris d’un fou rire inextinguible. Je me rappelle que papa aime
raconter des blagues, salées si possible, mais à ce compte il ressemble plus à
Éphrem qu’à Symphorien. Je me mets donc à douter que l’humour de mon père,
édenté de surcroît, soit la cause de l’hilarité du bonhomme. J’en conclus alors
de deux choses l’une : ou bien la directrice vient de lui accorder la
parité salariale avec le secteur public, ou bien… Ginette ! Ça doit être
Ginette, me dis-je en entrant dans la chambre. Assise sur le lit à côté d’une
boîte de papiers-mouchoirs trois épaisseurs, Ginette essuie ses larmes tout en
essayant de contenir son rire. Papa, toujours dans son fauteuil berçant,
affiche lui un grand sourire blanc. Blanc de blanc. Allez Lula, papa a retrouvé
sa denture ou, plutôt, on l’a retrouvé. Où était-elle, que je demande au
cadre de porte dans lequel se tiennent les deux préposés au bien-être des
résidents. Celui que je surnomme maintenant Alexandre le Bienheureux me
répond : « En huit mois de travail, je n’avais encore jamais vu ça. Les
dentiers de votre père étaient dans sa couche ». Et, mon Alexandre de
s’esclaffer à nouveau. Craignant sans doute de se faire voler ses dentiers par
la femme aux mules roses, papa les avait cachés dans sa couche où ils sont
restés jusqu’à l’arrivée d’Alexandre, soit une bonne douzaine d’heures.
Alexandre
le Bienheureux me rassure sur l’aspect hygiénique de l’aventure : il a
bien lavé et stérilisé les dentiers de papa. Je me détends un peu. J’esquisse
même un sourire de remerciement à l’adresse des deux préposés. Claudette en
profite pour avoir le dernier mot de l’histoire : « T’a l’air ben stressé
mon beau Serge. Viens avec moé, m’en va te donner un bon bain chaud. »
Au secours !
Note : cette
histoire est basée sur des faits réels, incluant le physique de l’auteur.
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