La Pietà de Michel-Ange
Depuis le temps qu’il en rêvait : Marc-Antoine est
enfin sur la place Saint-Pierre à Rome. Nez en l’air, il observe une à une les quelque
cent quarante statues qui trônent au sommet de la colonnade du Bernin. Il
prendrait bien des photos, mais à quoi bon : avant lui, des centaines de
photographes ont pris des milliers de photos et les ont publiées sur tout ce
qui s’imprime ou se pixellise. Aussi décide-t-il de garder la précieuse mémoire
de son Nikon 5000 Pro pour l’intérieur de la basilique Saint-Pierre. Peut-être
aura-t-il la chance de descendre sous le maître-autel et de photographier la
tombe de celui à qui Jésus a prophétisé : « Tu es Pierre et sur cette
pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16:18).
Avant d’entrer dans le Saint des Saints, Marc-Antoine doit
se soumettre à une fouille, question de prévenir toute forme de vandalisme ou
de terrorisme. Il s’attend à voir des gardes suisses pontificaux, tout de tissus
bouffants et colorés vêtus. Il a plutôt affaire à des carabinieri italiens,
tout de noir vêtus, sérieux comme des papes.
Une fois la vérification achevée et son droit d’entrée
dûment acquitté, Marc-Antoine gravit les marches du monumental escalier. En
entrant dans le portique, son regard est attiré par une grande sculpture
blanche sur le bas-côté gauche : c’est la fameuse Pietà que Michel-Ange a sculptée
dans le marbre de Carrare en 1498-99. Aussitôt, Marc-Antoine gagne la
balustrade qui empêche les visiteurs de trop s’approcher. Tout près de lui, un
tronc séculaire l’encourage à faire un don pour la restauration de l’œuvre.
Bon Sang que le Christ est petit dans les bras de Marie, se
dit Marc-Antoine en brandissant son appareil pour prendre une photo. Comme leur
regard est empreint de sérénité : on sent que leur âme a retrouvé la paix
après la terrible épreuve de la Crucifixion. Clic ! Aussitôt une petite lumière
rouge s’allume au-dessus du tronc. Marc-Antoine sourit en réalisant que,
décidément, l’Argentin a le sens du marketing. Bon joueur, il sort une pièce de
deux euros et la glisse dans la fente. La lumière rouge s’éteint. Marc-Antoine
entend clairement la statue dire « Grazie ».
Ben voyons donc, se dit notre homme, dis-moi pas qu’en plus
des soupirs des livres, je vais aussi entendre la voix de la pierre ?[1]
Résolu à en avoir le cœur net, le photographe entreprend de prendre une autre
photo de la statue. Clic ! Aussitôt, la lumière rouge du tronc clignote. Notre
homme verse une pièce d’un euro et attend. La lumière clignote toujours.
Peut-être faut-il mettre plus d’euros ? Effectivement : au second euro, la
petite lumière rouge s’éteint. « Grazie » dit une petite voix.
Cette fois-ci, il en est sûr : c’est le Christ qui a parlé. Il lui semble
même que … Marc-Antoine compare la statue avec les photos qu’il vient de
prendre. Doux Jésus ! La tête du Seigneur a bougé. Elle s’est légèrement
inclinée vers lui !
Pris d’un soudain élan mystique, Marc-Antoine sort son
portefeuille et verse tout son argent dans le tronc. La lumière rouge se met à
clignoter sans arrêt. Marc-Antoine se sent comme s’il venait de gagner le gros
lot dans une machine à sous du casino de Cône orange.
« Grazie mille » lui dit la Vierge en
ouvrant les yeux et en lui faisant un large sourire. « Grazie al vostro dono
la vera Pietà potrà presto ritrovare il suo posto dall'altra parte del portico.[2] »
Marc-Antoine réalise que « sa » Pietà est constituée de deux artistes
de rue qui travaillent là à ramasser des fonds pour restaurer la véritable
Pietà. Il se rappelle alors qu’un déséquilibré l’a sauvagement mutilée à coups
de marteau en 1972. Il part d’un grand éclat de rire. On l’a bien eu !
Il reprend sa visite non sans avoir auparavant pris une
dizaine de photos du duo d’artistes. Avec un peu de chance, se dit-il, je serai
le premier à publier une photo de la Pietà vivante du Vatican.
Source : Wikipedia Commons |
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