Annie Leibovitz et moi
Je ne suis sans doute pas encore un artiste célèbre, mais je
sais d’où me vient la passion de la photographie : des magazines de mon
enfance.
Alors que mes amis allaient à la bibliothèque emprunter des
livres, moi je fréquentais les kiosques à journaux Multimag ou le
rayon des revues chez Renaud-Bray. Mes amis lisaient Harry Potter, Star
Wars ou Le Seigneur des anneaux. Moi, je me délectais des Life,
Vogue et Vanity Fair de ce monde. Laissez-moi être plus
précis : je me délectais des photos de ces magazines. Toujours d’une
grande qualité artistique, ces photos (surtout celles des pages couvertures)
transcendaient le réel. Elles élevaient leur sujet à un niveau intemporel,
quasi divin. Je me rappellerai toujours la photo de Whoopy Goldberg étendue les
membres en l’air dans une baignoire remplie de lait, ou cette autre de Bette
Midler nue sur un lit de roses. Même l’horreur s’habillait de beauté à
l’époque : un petit garçon marchant dans Central Park, une grenade jouet à
la main, une petite vietnamienne brûlée au napalm courant vers le photographe, le
close-up du visage d’un enfant réfugié de la mer en Thaïlande ou encore, plus
près de nous le petit réfugié syrien retrouvé mort noyé sur une plage.
Dès que j’avais suffisamment d’argent en poche, je me payais
un ou deux magazines. De retour à la maison, je découpais les photos que
j’aimais le plus et les collais sur les murs de ma chambre. C’est ainsi qu’est
née la galerie personnelle qui orne aujourd’hui tous les murs de mon logement.
Avec le temps – et l’expérience – j’y ai ajouté mes propres photos, question de
m’inclure dans ce petit panthéon de la photographie.
Du plaisir des yeux que me procuraient ces magazines, je
suis passé à l’étude des photographes. Je me suis mis à tout lire sur Annie
Leibovitz, Diane Arbus et Henri Cartier-Bresson. Je me suis même intéressé à
des artistes méconnus comme Robert Mapplethorpe dont les nus sadomasochistes
ont fait scandale aux États-Unis avant d’être (finalement) exposés au Musée des
Beaux-Arts de Montréal. Je voulais comprendre comment ces artistes étaient
arrivés au sommet de leur art, comment je devais m’y prendre pour les y rejoindre.
Rapidement, je suis devenu un autodidacte de la photographie. De la lecture, je
suis ensuite passé à l’action. Équipé d’un appareil bon marché, je me suis mis
à écumer les lieux publics à la recherche d’un élan de tendresse ou d’un regard
unique. J’ai appris à développer mes photos sur Photoshop et à faire des
tirages professionnels.
Cependant, il manquait quelque chose à ma formation
d’artiste : des modèles québécois. Certes, j’avais entendu parler
d’Antoine Désilets, le grand photographe du journal La Presse, mais ses tirages
en noir et blanc sur du papier journal me laissaient plutôt froid. Il me
fallait de la couleur, du papier glacé. J’ai finalement découvert par hasard le
catalogue de Robert Laliberté, un passionné du corps humain à qui il fait
prendre des poses audacieuses, d’une géométrie insoupçonnée. J’ai visité toutes
ses expositions à l’Écomusée du Fier-monde. Puis, il y a eu Claire
Beaugrand-Champagne, une photographe documentaire, dont j’ai acheté les Émouvantes
Vérités. Je suis très heureux d’avoir eu l’occasion de parler métier avec
ces deux artistes de chez nous.
Tous ces grands photographes m’ont aidé à tracer ma voie.
Grâce à eux, j’ai enfin eu un but dans la vie, une raison d’accepter plein de
petits boulots abrutissants. J’ignorais cependant que le chemin que
j’empruntais était semé d’embûches et que la notoriété ne récompense pas
toujours le talent ni le travail bien fait.
Marc-Antoine, septembre 2023
Asana3, photo Robert Laliberté |
Photo Annie Leibovitz |
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