Danse au Liquor Store

  

        Depuis qu’il est déménagé à Magog, Marc-Antoine ne cesse d’espérer septembre. L’automne est si beau en Estrie. Ses journées sont chaudes et ensoleillées, et ses brises, douces sur la peau, font chanter les feuilles maintenant parées d’or et de pourpre. Même son calme est le bienvenu après le bruyant passage des estivants.

        Chaque année, à l’annonce de la Flambée des couleurs, Marc-Antoine invite ses bonnes amies à un brunch au Liquor Store, une magnifique terrasse sise près de la rivière, couverte d’immenses parasols blancs en forme de belles de nuit.

        Justement, les voici aujourd’hui attablés près de l’estrade où se produira bientôt le trio Ex Aequo. En plus de Marc-Antoine, il y a Rachel la rêveuse, Claudette la verbomotrice, Sylvie la ricaneuse et Diane la philosophe. À la table d’à côté, une famille mange en silence : une mère et un père séparés par un garçonnet de quatre ans et une fillette encore aux couches. Le contraste est patent : la tablée de Marc-Antoine reflète la joie de vivre tandis que celle de la petite famille respire la morosité.

        Le trio Ex Aequo fait son entrée et s’installe sans que nul y porte trop attention. Il en va tout autrement quand il commence à enchaîner les grands succès de Rythme FM. Rapidement les amies de Marc-Antoine se mettent à taper du pied et à danser sur leur chaise.  Celui-ci en profite pour sortir son appareil photo et immortaliser la scène. Il ne remarque pas le garçonnet qui, tout excité, passe en courant derrière lui, suivi de près par sa mère qui le filme avec son cellulaire. Une fois sur l’estrade, l’enfant se met à danser comme un diable. Voyant cela, le guitariste lui demande d’approcher. Il pose les doigts de l’enfant sur les siens et l’invite à gratter l’instrument avec lui.

        À ce moment précis Marc-Antoine perçoit un grondement sourd venant de la table d’à côté : le père, visiblement contrarié par la tournure des événements, peine à contenir sa colère. Le grondement, que lui seul semble entendre, s’intensifie : Marc-Antoine sent que le père va éclater. Alors, il se tourne vers lui et lui demande gentiment s’il peut le prendre en photo avec sa fille. Non, fait le père de la tête sans quitter sa femme des yeux. À présent debout dans l’allée, les amies de Marc-Antoine se déhanchent au son de We are the Champions.

        Le père prend la petite dans ses bras et se dirige vers la sortie. Réalisant ce qui se passe, la mère va chercher l’enfant sur l’estrade et rejoint son conjoint. Là, elle se met à gesticuler et à vociférer en montrant du doigt le garçon qui pleure à chaudes larmes. Marc-Antoine comprend alors que l’enfant est sourd et que, voyant les autres convives se trémousser sur leur chaise, il s’est rapproché des musiciens pour percevoir les basses fréquences avec son corps et ainsi pouvoir danser. À l’évidence, le père a craint que l’assistance ne se moque de son fils. Sa femme a beau essayer de le rassurer, rien n’y fait. La petite famille quitte les lieux après avoir acquitté la note.

        D’un naturel pudique, Marc-Antoine range son appareil : il ne veut pas s’immiscer dans la vie des gens sans leur consentement. Claudette s’approche de lui et le tire par la manche : «  Viens danser avec  nous mon beau. » Le trio joue Tourne la page de Nathalie et René Simard.


Le Liquor Store à Magog


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