Le dernier Séder
Le voyage de Marc-Antoine en Italie touche à sa fin. Après
Rome et sa Pietà humaine, Florence et ses David marmoréens, le
voici rendu à Milan pour admirer La Dernière Cène de Léonard de Vinci
dans le réfectoire du couvent dominicain Santa Maria delle Grazie. Comme plus
d’une centaine de visiteurs, il attend que le soleil entre par les grandes
fenêtres occidentales pour éclairer la fresque pendant quelques minutes.
Marc-Antoine n’est pas croyant. Cependant, il ne peut
s’empêcher d’admirer la composition de l’œuvre du grand-maître : le Christ
triangulaire au centre, les quatre triades de disciples et le point de fuite
des murs latéraux. Tous les convives sont attablés sur le même côté d’une
grande table, face au spectateur. Marc-Antoine se rappelle avoir déjà vu une
composition de ce genre il y a quelques années : Il s’agissait d’un repas
du midi en plein air avec, au centre, … des mariés! Voilà, la mémoire lui
revient : La noce de juin du grand peintre québécois Jean-Paul Lemieux.
Un procédé très efficace qui a pour effet non seulement de montrer tous les personnages
de face, mais aussi de convier le spectateur au repas.
En attendant que le soleil se pointe, Marc-Antoine en
profite pour lire les explications sur son cellulaire. Le personnage à gauche
du Christ ressemble à une femme. Est-ce Marie-Madeleine ? Non, répond
Wikipédia : il s’agit plutôt du jeune apôtre Jean souvent représenté à la
Renaissance sous des traits efféminés. Par ailleurs, Wikipédia rappelle que,
selon les Évangiles, Marie-Madeleine était présente sur les lieux. L’artiste, fidèle
à l’idéologie de son époque, s’en est tenu aux hommes seulement. Quant au
chiffre 12, les apôtres représenteraient ici les douze tribus d’Israël, un
symbolisme qui n’a probablement rien à voir avec la réalité de Jésus. Alors, à
quoi a bien pu ressembler cette dernière Cène?
Continuant à pitonner sur son cellulaire, notre infovore
tombe sur le site Des femmes et des enfants à la
dernière Cène | Femmes et Ministères (femmes-ministeres.org). Selon ce
site, comme la Cène se déroule peu avant la Pâque juive (la Pessa’h), il s’agit
tout probablement d’un Séder, un rituel juif millénaire commémorant la sortie
d’Égypte. De tout temps, femmes et enfants ont assisté au Séder. Donc, si Jésus
a effectivement dit « chaque fois que vous ferez ceci, vous le ferez en
mémoire de moi. », il s’adressait à des femmes aussi bien qu’à des hommes.
Par conséquent, les femmes peuvent être prêtres et dire la messe! De là à
envisager une femme pape, il n’y a qu’un pas que Marc-Antoine fait en souriant
dans sa tête.
Il en va de même pour
la célèbre phrase que Jésus a prononcé après avoir partagé le pain azyme et le
vin : « Aimez-vous les uns les autres ». Il a dit cette phrase à
des hommes et à des femmes. Un artiste polonais a d’ailleurs peint une
version de la dernière Cène aussi fidèle que possible à l’époque et à la
tradition juive.
Soudain, les spectateurs poussent un grand Ah! Levant les
yeux, Marc-Antoine constate que les premiers rayons du soleil ont traversé les
fenêtres et commencé à éclairer l’œuvre. Des spectateurs s’agenouillent pour
prier. Notre photographe sort son appareil et croque la scène : ce n’est
pas tant le tableau qui l’intéresse maintenant que la ferveur religieuse qu’il
suscite chez les croyants. L’œuvre incarne la réalité pour ceux qui ont la foi.
Là se trouve toute la grandeur de la Cène, tout comme il l’avait observé devant
le Jugement dernier de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
Les minutes passant, le soleil se fait plus faible avant de
disparaître complètement. La dernière Cène retrouve sa pénombre protectrice.
Les spectateurs se lèvent en silence et quittent le réfectoire. À l’entrée du
couvent, des religieuses tiennent un kiosque de souvenirs. Marc-Antoine se
laisse tenter par un kit eucharistique : deux galettes de pain azyme et un
flacon de vin rouge. Cela, se dit-il, devrait m’aider à patienter jusqu’au
souper.
Une vision plus réaliste de la dernière Cène, Bohdan Piasecki (1998) |
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