Le capteur d'âmes

  

À l’occasion du centenaire de madame Françoise Sullivan, le Musée des Beaux-Arts de Montréal a le plaisir de vous inviter au vernissage de ses œuvres les plus récentes. La signataire du Refus global a intitulé son exposition « Je laissais les rythmes affluer ». Le vernissage aura lieu mercredi 31 octobre prochain à 17 heures. Déguisement d’Halloween obligatoire. Un cocktail dînatoire sera servi.

        Misère, se dit Marc-Antoine en déposant le carton d’invitation sur la paillasse de sa chambre noire. Il a toujours détesté se costumer à l’Halloween, préférant passer inaperçu pour mieux exercer son art, la photographie. Être costumé ou ne pas assister au vernissage : telle est la question à laquelle Marc-Antoine décide d’aller réfléchir dans son bain moussant hebdomadaire. Grand bien lui fait car, moins de trente minutes plus tard, il s’écrie, tel Archimède : « j’ai trouvé ! »

        Aussitôt, notre Nadar en devenir se met à la recherche des éléments de son costume, non sans s’être d’abord essuyé et avoir revêtu son peignoir en polar zinzolin.

        Tâtant le tissu doux et ample, Marc-Antoine constate qu’il tient là la base de son déguisement. Puis, fouillant dans le placard de sa chambre noire, il trouve une boîte remplie de Flashcubes™ du siècle dernier. Ahah ! s’exclame notre héros comme s’il venait de découvrir le bouton à quatre trous. Retour à la chambre où il extrait du chiffonnier son nécessaire à couture. Un homme accompli doit pouvoir ramender ses vêtements, lui avait dit sa mère en lui remettant ledit nécessaire pour ses dix-huit ans.

        Patiemment, Marc-Antoine faufile les Flashcubes™ un à un sur son peignoir. Un vrai travail de petites mains ! Cela, marmonne-t-il pour lui-même, devrait suffire à éloigner les mauvais esprits car, et le fait est avéré, ceux-ci craignent de voir leur reflet dans un miroir.

        Deuxième étape : le linge de corps. Marc-Antoine opte pour le confort : un T-shirt gris défraîchi et un pantalon de jogging bi-matière noir. Avisant un vieux trépied en aluminium dans un coin, il dévisse les pattes et entreprend d’en coudre deux sur les jambes de son pantalon et la troisième au dos de son peignoir. La couture terminée, Marc-Antoine enfile son costume et se promène dans son trois pièces et demie. À la fin, il laisse s’échapper un soupir de contentement : même Elsa Schiaparelli n’aurait pu trouver mieux.

        Sur cette remarque tout à son avantage, notre costumier en herbe ouvre son placard et en extrait sa paire de Crocs™ préférée, couleur citrouille. Parfait pour l’Halloween! Il retourne dans sa chambre noire et en ressort avec deux films trente-six poses périmés. Il s’emploie ensuite à faire passer la pellicule par les trous de ses Crocs™, puis à couvrir chaque chaussure d’un Flashcube™ s’agitant tel un grelot silencieux.

        Une fois chaussé, Marc-Antoine peut enfin s’attaquer à la troisième et ultime étape de son déguisement, la plus délicate : quoi mettre sur sa tête? Le couvre-chef doit lui permettre de voir, de boire, de parler et, surtout, de prendre des photos. Il va dans son bac de recyclage et en sort une boîte de livraison d’Amazon. Il entreprend de la transformer en un gros boîtier de caméra qu’on appelait un Brownie au 20e siècle. Il bricole deux viseurs et un obturateur sur le devant, une petite manivelle sur le côté droit, et, pour la décoration, une poignée et un dernier Flashcube sur le dessus. Finalement, il relie l’obturateur à sa main gauche avec un câble déclencheur afin de pouvoir l’ouvrir à sa convenance pour boire ou parler.

        Ainsi déguisé en appareil-photo monté sur son trépied, Marc-Antoine est fin prêt pour le vernissage au MBAM. Ne lui reste plus qu’à capturer les âmes des invités pour les accrocher, tels des trophées, sur les murs de son logis.



         Certains peuples pensent que lorsqu'on prend quelqu'un en photo, on capture son âme, on la lui vole pour l'enfermer dans cette petite boîte grise et en imprégner la pellicule. Peut-être n'ont-ils pas tort. (Source : demotivateur.fr)

        Les Brownie sont une série d’appareils photo simples et bon marché fabriqués par Eastman Kodak de 1900 à 1980. Le premier modèle, lancé en février 1900, était constitué d’un boîtier en carton et d’un objectif à ménisque. Commercialisé au prix d’un dollar, il s’adressait à tout un chacun et, de fait, devint très populaire. (Source : wikipedia.org)


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