Super Colette. Chap. 10 : Exit mon superpouvoir

 

J’ai repris conscience dans un grand lit ordinaire, dans une literie ordinaire, avec pour seul vêtement ma petite culotte ce qui m’a valu mon premier sourire post-coma. La chambre était grande, luxueuse, meublée avec goût. Deux grandes fenêtres laissaient entrer le soleil à travers des toiles intimité. Rien à voir avec la chambre d’hôpital où je croyais me retrouver. Ma première réaction a été celle de Dorothy dans le Wizard of Oz : « Toto, I have a feeling we’re not in Kansas anymore ».

La porte de ma chambre s’ouvrit et une jeune fille bien vêtue entra.

Béatrice : Bonjour madame Ménard. Bienvenue dans votre nouvelle demeure. Je m’appelle Béatrice. Je serai votre dame de compagnie pendant votre convalescence.

Moi : Ma dame de quoi ? Où suis-je SVP ? Ces lieux me sont totalement inconnus.

Béatrice : Vous êtes dans la maison de campagne du docteur Ghyslain Hochberg, à environ vingt kilomètres au nord de Sherbrooke. Le docteur a mis sa maison à votre disposition afin que vous puissiez vous rétablir complètement.

Moi : C’est très gentil de sa part, mais est-ce que je peux savoir pourquoi il a fait ça ?

Béatrice : Je vous l’expliquerai un peu plus tard. Pour le moment, il est important que vous vous leviez et fassiez quelques pas question de vous dégourdir les jambes et d’activer votre circulation.

Moi : OK, essayons !

Comme je m’assoyais au bord du lit, une espèce de gros R2D2 est sorti d’un placard et s’est dirigé vers moi.

Béatrice : Madame, je vous présente Valet, votre robot personnel. Il va vous aider à marcher. Vous avez juste à prendre son bras.

J’avais entendu parler des robots qui apportaient les repas au CHUM et dans certains restaurants de la province, mais jamais de robots comme Valet. Pourtant, ai-je argumenté en mon for intérieur pour me convaincre, j’ai bien un ordinateur personnel, alors, pourquoi pas un robot personnel ? Je riais encore quand j’ai pris le bras tendu de Valet. Tout doucement, il m’a aidé à me lever et à marcher. Après quelques pas, il s’est mis à me parler d’une voix chaude et virile, semblable à celle de Philippe Noiret : « C’est bien madame. Continuons si vous le voulez bien ».

Moi : Ça alors, vous parlez en plus ! Est-ce que vous cuisinez aussi ?

Valet : Non madame, mais je sers les repas, ramasse le linge et passe l’aspirateur.

Moi : Vous a-t-on déjà dit que vous aviez une très belle voix ? (J’avais déjà conversé avec Alexa, l’assistante personnelle d’Amazon, alors pourquoi pas avec un robot?)

Valet : Bien sûr. J’ai été programmé à cet effet. Si vous aviez été un homme, j’aurais pris la voix de Karine Vanasse (rires).

Moi : En plus, il a le sens de l’humour ! J’aurai tout entendu. Puisque c’est comme ça, vous allez m’appeler Colette et moi, je vais vous appeler… Philippe. Ça vous va ?

Philippe : Comme sur des roulettes, Colette (autres rires).

Pas à dire, ai-je pensé, il est comme la Compagnie Créole : bon pour le moral ! Ce fut à mon tour de rire.

Une fois revenue au lit, Béatrice a pris mes signes vitaux. Puis, elle m’a montré les deux caméras de surveillance, les boutons d’alarme et l’ordinateur portable qui servait aussi de téléphone.

Moi : Y a-t-il aussi un téléviseur et un poste de radio ?

Béatrice : Pas pour le moment. Nous voulons éviter que vous ne soyez stressée par les nouvelles et les reportages sur le monde extérieur. En revanche, vous pouvez regarder les émissions de Crave et de Netflix sur votre portable. Vous avez aussi accès à Spotify pour la musique.

Je recouvrai mes forces rapidement et ce, d’autant plus que je n’avais plus d’hallucinations sensorielles. Le Dr Hochberg m’expliqua en visio-conférence ce dont je souffrais. Je compris que je ne pouvais voir pour le moment que des personnes en excellente santé. Il ne me restait plus qu’à prendre mon mal en patience et à attendre que mon superpouvoir disparaisse de lui-même. Heureusement, Béatrice était d’agréable compagnie. Idem pour Hubert, son remplaçant les fins de semaine, et Philippe que j’appelais tendrement mon petit robot de compagnie. Ne manquait que Raymond à mon bonheur.

Mon bourdon d’amour me téléphona cinq jours après mon réveil. Sa bonne humeur me sembla un peu forcée. Après avoir pris de mes nouvelles, il m’expliqua qu’en raison de son Parkinson, il ne pouvait venir me voir : j’aurais à coup sûr des hallucinations sensorielles en sa présence. Contre mauvaise fortune, il nous fallait faire bon cœur. Je l’invitai à me joindre en vidéoconférence sur WhatsApp, ce qu’il fit dès le lendemain. Nous recommençâmes à faire ce que nous avions fait pendant le confinement : parler de VAD[1], de musique et de météo. Je lui demandai d’ajouter l’actualité à sa liste de sujets, car ce confinement me pesait plus que le précédent. Je ressentais le besoin de faire partie de l’humanité, de partager ses petits bonheurs comme ses grands malheurs.

Raymond comprit très bien ce que je voulais. Il commença à me faire chaque jour un résumé des nouvelles nationales et internationales. C’est ainsi que j’appris que la Russie avait envahi l’Ukraine pour la « dénazifier » - dixit son président élu à vie démocratiquement -, que, prises de peur, la Suède et la Finlande avaient demandé à adhérer le plus tôt possible à l’OTAN, qu’une armée de mercenaires russes, appelée groupe Wagner, s’était installée au Mali et en Ouganda, etc. Mon Bernard Derome personnel m’expliquait tout d’une voix calme et posée comme s’il me lisait le Manifeste du FLQ.

De façon étonnante, je constatai que l’actualité ne m’affectait pas beaucoup. J’éprouvais parfois de l’empathie pour telle personnalité ou telle nation, mais rien de plus. Surtout, rien pour nourrir mon angoisse existentielle ou me faire halluciner.

Il en fut de même lorsque les tensions s’accrurent entre la Chine et Taiwan, entre les deux Corées, entre l’Occident et la Russie. En revanche, je sentis Raymond devenir de plus en plus nerveux. Il hésita un certain temps avant de me parler des premiers « incidents » dans la mer de Chine et la mer Baltique. Puis, il m’annonça abruptement qu’il mettait fin à son radiojournal. L’actualité le déprimait trop. Il préférait que nous parlions uniquement de météo, de musique et de potins de la résidence. Bon sang, est-ce que ça allait si mal que ça ?

Je perdis ma connexion Internet dans les jours qui suivirent. Puis un matin, Philippe refusa de sortir du placard. Je trouvai mon plateau de nourriture sur la table de cuisine. Je fis le tour des pièces de la maison : elles étaient toutes dans la pénombre. Partout, les toiles avaient été baissées et les rideaux tirés. Aucune trace de Béatrice ni de Hubert. Pas moyen de téléphoner à qui que ce soit.

Était-ce la fin du monde ? Pas moyen de le savoir. En tout cas, me dis-je à haute voix, si tel est le cas, je ne l’aurai pas vu venir. Il y avait au moins ça de réconfortant, commenta la résiliente en moi.

J’ai alors commencé à dresser l’inventaire de ce que j’avais pour survivre. De la nourriture et des pilules pour deux semaines, du papier de toilette pour un mois, du savon et de l’eau pour une vie. Je passai un bizarre de commentaire sur l’excédent de PQ qui me fit sourire. J’avais donc deux semaines pour écrire non pas ma biographie – c’eut pris beaucoup plus de temps – mais simplement la petite histoire de mon superpouvoir.

J’ai terminé mon texte ce matin. J’ignore si quelqu’un va le lire. La dernière fois que j’ai regardé par la fenêtre, le ciel était orange et les nuages jaune sale.

Source : commons.wikipedia.org




[1] Les plateformes numériques de Vidéo À la Demande (VAD) telles Crave et Netflix.

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