Super Colette. Chap. 7 : Sens dessus dessous

 

Le lendemain matin, je fus réveillée par un brouhaha dans le corridor. Rapidement, j’enfilai une robe et mes lunettes pour voir de quoi il retournait. Comme j’ouvrais le porte, je vis deux ambulanciers sortir de l’appartement d’en face avec une civière sur laquelle reposait un corps inanimé recouvert d’un drap blanc. Avisant non loin de là madame Marie-Marguerite Castonguay Caron, la directrice de la résidence,  j’allai lui demander ce qui se passait. Monsieur Beauchamp n’avait pas répondu ce matin à l’appel quotidien du programme de surveillance PAIR, ce qui avait déclenché une alerte à la réception. Elle était montée à son appartement et l’avait trouvé mort dans son fauteuil. Selon le médecin légiste, monsieur Beauchamp est décédé hier vers midi. Me rappelant que mon voisin écoutait Paint it Black à ce moment-là, je demandai à la directrice si elle avait entendu de la musique en entrant dans l’appartement. Non, fut sa réponse. Elle devait maintenant aller prévenir la petite amie de monsieur Beauchamp, madame Ouellet, à l’étage du dessus. Je lui offris de l’accompagner pour soutenir ma voisine dans cette dure épreuve.

Madame Ouellet fut bouleversée en apprenant la nouvelle. Je lui offris de rester un peu avec elle, mais elle déclina poliment, préférant rester seule pour ne pas me contaminer. C’est alors que j’entendis la musique venant de l’intérieur. Un air de violoncelle. Le même qu’hier. Je fis remarquer à madame Ouellet qu’elle écoutait la même musique que monsieur Beauchamp. Quelle musique, demanda-t-elle ? Je n’écoute jamais de musique, uniquement la télévision. Ce fut à mon tour d’être surprise.

L’inquiétude me gagna en revenant à mon appartement. Et s’il fallait que… Je n’osai pas terminer ma phrase tant son sens m’effrayait. Non, non ! Aussitôt rentrée, je contactai Raymond : « Viens vite s’il te plait, il m’arrive quelque chose de très bizarre ». Tout comme l’autre fois, Raymond me laissa raconter mon histoire sans m’interrompre. Pleine d’appréhension, je lui demandai si hier midi, il avait entendu de la musique devant ma porte. Non je n’ai rien entendu, dit-il, mais ne te fie pas à moi car je suis un peu dur d’oreille. Je me mis à paniquer : Raymond, se pourrait-il que mon superpouvoir ait muté ou évolué et que j’entende maintenant de la musique quand quelqu’un près de moi est en danger ? Il n’y a qu’une façon de le savoir, répondit le préposé aux petites vieilles toutes croches, c’est d’aller prendre une marche en ville cet après-midi. Ce fut à mon tour de lui prendre les mains. Tout ce que je trouvai à dire avant de me coller contre lui fut : « Je ne sais pas ce que je deviendrais si tu n’étais pas là. Tu es mon roc de Gibraltar ».

Gibraltar et moi sommes partis après le diner bras dessus bras dessous pour le grand parc bordant le lac. Lui portait ses verres fumés, moi mes surlunettes jaunes. Je n’eus pas à attendre bien longtemps avant d’entendre les premières mesures de violoncelle. Des adolescents en planche à roulettes se livraient à des acrobaties dans les modules du skate parc. L’un d’eux rata une manœuvre délicate et termina abruptement sa course contre un muret. Cris et pleurs firent écho à la musique des Rolling Stones. Un peu plus loin, une néophyte du vélo électrique prit un virage un peu trop rapidement. Le violoncelle commença à jouer. La malheureuse percuta un des derniers frênes du parc. Heureusement qu’elle portait son casque : seul son ego fut blessé.

J’en avais assez entendu. Je dis à Raymond que je voulais rentrer, que la musique que j’entendais sans cesse n’adoucissait en rien mes mœurs. Sans mot dire, mon homme consentit. Le retour se fit dans un silence apaisant, troublé en une seule occasion par un motocycliste impatient doublant une auto par la droite. Il n’y eut pas d’accident, mais le danger avait suffi à déclencher la musique. Je réalisai à ce moment-là que mon superpouvoir avait une portée somme toute limitée. Le danger devait être proche et imminent pour que je le perçoive.

Une fois dans mon appartement, Raymond s’assura que j’étais à nouveau rassénérée. Puis, il me proposa d’aller acheter un casque antibruit à la quincaillerie. Selon lui, les coquilles insonorisantes allaient sûrement faire taire la musique vu que les surlunettes avaient fait disparaître les halos de lumière bleue. J’acquiesçai sans gaité de cœur en imaginant tout l’équipement que j’allais dorénavant devoir porter pour me sentir normale.

Raymond revint une heure plus tard avec de magnifiques coquilles rouge vif de la marque Peltor™. Ce sont les meilleures sur le marché, me dit-il d’un air satisfait. Je te crois mon trésor, répondis-je, mais as-tu pensé à ce que je vais avoir l’air sur la rue avec ce casque et mes surlunettes ? Je vais avoir l’air d’une extraterrestre ! On va se moquer de moi et me dire « Colette go home. Colette go home ». Raymond prit un air de dépit. Je pensais bien faire, dit-il. « Je sais bien. Excuse-moi Raymond. Je passe ma colère sur toi et je ne devrais pas. Pour me faire pardonner, voudrais-tu SVP rester à souper ce soir. Nous pourrions veiller ensemble par la suite. »

Je compris à son sourire que ma saute d’humeur était pardonnée. J’allai dans la chambre me faire belle pour mon homme, car oui, c’est ainsi que je l’appelais maintenant. Mon homme ! Ça me faisait tout drôle de le penser et, surtout, de le dire à haute voix.

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