Super Colette. Chap. 2 : Et la lumière fut
Vous vous rappelez que je suis déménagée dans la RPA Les Lucioles
à l’automne 2019. Or, qu’arriva-t-il à la fin de l’hiver suivant, plus
exactement le vendredi 13 mars 2020 ? Bingo, vous l’avez : en raison de la
pandémie de Covid-19, le gouvernement de monsieur Legault déclara l’état
d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois. En conséquence, je fus
confinée dans la résidence pendant douze mois. Douze longs mois à ne voir
personne d’autre que des zombies masqués dans les corridors de la résidence.
Douze longs mois à ne pouvoir aller ni au supermarché, ni au centre d’achats ni
même dans le grand salon au rez-de-chaussée pour jouer aux cartes. Douze mois à
vivre « Le retour des morts-vivants 4 », à blasphémer après ma
fistule anale, à regretter d’avoir quitté « Ma retraite en Estrie ».
Le pire survint au début de l’été quand Alien réussit à
entrer dans la résidence via les voies respiratoires d’une employée ou d’un
livreur. En une semaine, quinze locataires se retrouvèrent à l’hôpital. Onze
moururent de LA maladie. Aussitôt, les zombies masqués disparurent des
corridors. Chacun s’enferma à double-tour dans son appartement et attendit que
la première vague se soit retirée, ce qu’elle fit au début d’octobre en
laissant derrière elle un total de vingt-quatre cadavres !
Je patientai encore quelques jours avant de m’aventurer dans
le corridor munie de gants en latex et d’un masque de procédure N-95 dissimulé
sous un hidjab acheté au marché aux puces d’Eastman. Je m’étais fixée pour
objectif d’aller chercher mon courrier au rez-de-chaussée. Je ne m’y suis
jamais rendue.
Comme je tournais le coin du vestibule pour emprunter le
corridor central menant aux ascenseurs, je tombai pour ainsi dire nez à nez
avec un voisin de palier, monsieur Richard Lachapelle, lequel avait abaissé son
masque pour tousser à son aise. Je figeai sur place. Non seulement à cause de
la toux, mais aussi parce que toute la silhouette de mon voisin était nimbée
d’une étrange lumière bleue comme si un éclairagiste avait installé un
projecteur dans son dos. En me voyant, M. Lachapelle retint sa toux. Aussitôt,
la lumière se fit plus forte. Il esquissa un salut de la tête et passa près de
moi sans dire un mot. Je le suivis du regard. Il avançait péniblement vers son
appartement. La lumière faiblissait à chaque fois qu’il toussait, puis
redevenait « normale ». Soudain, M. Lachapelle s’effondra par terre
et ne bougea plus. La lumière s’éteignit. Je lâchai un grand cri et me
précipitai vers les seuls secours à portée de main, c’est-à-dire l’alarme
d’incendie.
Se rappelant les exercices d’incendie qu’ils avaient
répétés, tous les locataires sortirent de leur appartement et gagnèrent les
sorties d’urgence sans prêter attention à l’homme qui gisait sur le sol. Ce ne
fut pas le cas des trois employées qui arrivèrent en courant. Elles
s’arrêtèrent pile à deux mètres de monsieur Lachapelle et formèrent un cordon
de sécurité que seuls deux pompiers vêtus de leur scaphandre autonome jaune
purent franchir. Ils constatèrent le décès de mon voisin puis demandèrent qui
avait déclenché l’alarme. Je levai le bras en signe de culpabilité. Un des
pompiers, sans doute l’officier, s’approcha de moi. J’expliquai qu’il n’y avait
pas le feu, que j’avais juste eu un mouvement de panique en voyant mon voisin s’effondrer.
Naturellement, je ne glissai mot du halo de lumière bleue : je ne voulais
pas me retrouver en psychiatrie. Le pompier me répondit que j’avais bien fait
d’activer l’alarme (sic!), car M. Lachapelle venait tout probablement de
décéder de LA maladie.
La direction décréta aussitôt une quarantaine obligatoire
dans toute la résidence. Les locataires regagnèrent leur appartement pour ne
plus en ressortir avant dix jours. Dix longs jours où j’attendis que les
symptômes se manifestent. Dix longs jours à me regarder dans le miroir pour
voir si ma silhouette se nimbait de lumière bleue. Car, voyez-vous, je
soupçonnais fortement que le halo de lumière était associé à LA maladie et ce,
malgré le fait que les médias n’aient jamais mentionné la chose dans leurs
comptes-rendus de la pandémie ?
Mes soupçons se confirmèrent deux semaines plus tard quand
je pus enfin aller relever mon courrier. Une dame nimbée d’une forte lumière
bleue refermait la porte du casier postal 544. Elle ne toussait pas et semblait
tout à fait normale. Voulant en avoir le cœur net, j’allai à la réception
rapporter le fait que la dame de l’appartement 544 présentait des symptômes de
LA maladie. On prévint l’infirmière de service qui aussitôt enfila gants et
masque et alla ausculter la dame. Elle revint en courant nous annoncer que,
oui, la dame présentait les premiers symptômes de LA maladie. Je lui demandai
si elle avait remarqué un halo de lumière bleue autour de son corps ? Non,
répondit l’infirmière d’un air bizarre en se demandant si la folie n’était pas
un nouveau symptôme de LA maladie. Elle me demanda si j’avais été à moins de
deux mètres de l’Alien. Je répondis possiblement. Elle me mit dare-dare en
quarantaine pour un autre dix jours.
J’avais donc raison : le halo de lumière bleue était
associé à LA maladie. Mais pourquoi étais-je la seule à le voir ? Je décidai de
ne piper mot à personne de mon étrange pouvoir et de faire comme les Américains
face à leur con de président[1],
c’est-à-dire prendre mon mal en patience !
[1] Lire l’article de la BBC paru le 24 avril 2020 :
« Coronavirus : outcry after Trump suggests injecting desinfectant as
treatment », www.bbc.com/news/world-us-canada-52407177
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