Super Colette. Chap. 6 : Raymond trouve une solution

 

Ce soir-là, je ne voulus pas dormir seule. J’étais trop anxieuse. Pour la première fois depuis que j’avais foutu mon exécrable conjoint à la porte, je ressentais le besoin d’une présence masculine. Certes pas dans mon lit – faut pas confondre sécurité et intimité -, mais sur le divan du salon, à portée de voix. Raymond accepta gentiment ma requête. Il vint me rejoindre après le souper avec un petit sac contenant quelques effets personnels et des anxiolytiques pour calmer mes troubles anxieux. Un comprimé c’est bien, m’a-t-il assuré avec un petit sourire aux lèvres, deux c’est mieux. Je suivis le conseil de mon infirmier improvisé et  passai une nuit merveilleuse, sans cauchemars ni même le début d’un rêve.

Je me réveillai le matin, fraîche et dispose. Une bonne odeur de café m’accueillit dans la cuisine où un Raymond déjà habillé achevait de faire cuire du pain doré sur la cuisinière. Pendant un instant, je suis redevenue la Colette de huit ans qui s’apprêtait à déjeuner avant d’aller à l’école. Bien dormi, m’a-t-il demandé en glissant une tranche de pain doré dans mon assiette. Comme un loir, ai-je répondu en suivant l’usage courant. Cependant, ne me demandez pas ce qu’est un loir, je n’en ai aucune espèce d’idée. Se fendant d’un large sourire de satisfaction à l’idée d’avoir bien rempli son rôle de préposé à une seule bénéficiaire, Raymond s’assit à l’autre bout de la table, un café chaud à la main, et me regarda dévorer mon déjeuner. Il savait que les anxiolytiques ouvraient l’appétit. Il en consommait de façon régulière depuis le décès de son épouse, ce qui lui valait aujourd’hui d’avoir un ventre rebondi et des poignées d’amour.

Raymond attendit que j’aie terminé mon déjeuner pour aborder le sujet délicat de mon superpouvoir. Il m’avoua avoir longuement réfléchi à mon problème pendant la nuit. Plus important, il pensait avoir trouvé une solution. Bon sang, me suis-je dit, ce n’est pas un infirmier que j’ai, c’est un médecin ! Il ne voulait pas m’en dire plus au cas où ça ne fonctionnerait pas. Il me demanda seulement s’il pouvait me laisser seule une ou deux heures. Bien sûr, ai-je répondu, je me sens beaucoup mieux ce matin grâce à tes bons soins. Il me fit promettre de ne pas sortir de l’appartement pendant son absence. Puis, il prit sa veste et sortit en sifflotant un air joyeux. J’allai au salon où je fis quelques patiences sur ma tablette électronique avant de m’assoupir sur le divan.

Je n’entendis pas Raymond rentrer. À mon réveil, je le trouvai assis tout près de moi, avec, entre les mains, un petit sac cadeau. Tiens, dit-il en arborant son plus beau sourire, c’est pour toi. Plongeant la main dans le sac, j’en tirai un étui contenant des surlunettes anti-lumière bleue. Raymond m’expliqua que les verres spéciaux de ces lunettes permettaient de filtrer directement la lumière bleue. Il avait pu les obtenir sans prescription de notre opticien local. Je les enfilai par-dessus mes lunettes de petite vieille. Aussitôt, tout l’appartement prit une teinte jaunâtre et les objets bleus devinrent noirs.

Ça marchait ! Du moins avec des objets. En irait-il de même avec les personnes nimbées de lumière bleue ? Il n’y avait qu’une façon de le savoir : rendre visite à une personne atteinte de LA maladie. Je téléphonai à la réception et demandai si quelqu’un était présentement en quarantaine en raison de la covid. La préposée m’indiqua gentiment que madame Ouellet, de l’appartement 413, était en quarantaine depuis trois jours. Raymond accepta de m’accompagner pour « valider » l’expérience. Je souris en pensant qu’il s’agissait surtout pour lui de me soutenir moralement.

Quelqu’un avait apposé une pancarte sur la porte du 413 : Attention - Covid-19 - Locataire en quarantaine. On entendait de la musique dans l’appartement. Je sonnai et reculai d’un pas. Madame Ouellet approcha de la porte, mais n’ouvrit pas. « Bonjour madame, je suis votre voisine d’en-dessous. Est-ce que je pourrais vous parler une seconde SVP ? Je suis vaccinée et je porte mon masque de procédure ». La dame entrouvrit la porte. Je ne voyais aucun halo de lumière bleue autour de sa tête. Je soulevai mes surlunettes et aussitôt je l’aperçus. Ce qu’il fallait démontrer l’était.

En bonne voisine, je pris de ses nouvelles et lui offris mon aide en cas de besoin. Je vous remercie de votre attention, dit-elle à travers son masque, mais je vous assure que je ne manque de rien. Encore quelques jours et je pourrai reprendre mes activités régulières. Elle referma la porte en toussotant. Raymond et moi reprîmes le chemin de mon appartement.

Comme nous arrivions à la porte, j’entendis de la musique venant de mon voisin d’en face. Du violoncelle. Je m’immobilisai et écoutai attentivement. J’avais déjà entendu cette musique : elle était jouée autrement et quelqu’un la chantait. Je me concentrai de toutes mes forces. Je vis un groupe rock sur une scène, un chanteur. Celui-ci tourna la tête. Je le reconnus aussitôt : Mick Jagger. Le reste s’enchaîna automatiquement : les Rolling Stones, la chanson Paint it Black. Son interprétation au violoncelle par Jenna Ortega dans la série télévisée Wednesday[1].

Comme a dit l’autre dans son bain, Euréka ! J’avais trouvé. J’étais contente, surtout que depuis quelques années, il m’est de plus en plus difficile de me rappeler le nom d’une ancienne connaissance, le titre d’un livre ou, comme dans ce cas-ci, l’interprète d’une musique. Je pris Raymond par le bras et l’entraîna dans mon appartement. J’avais décidé de le garder à diner.



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