Super Colette. Chap. 3 : Je ne suis pas seule

 

Quand je dis que j’ai pris mon mal en patience, cela ne veut pas dire que je suis restée les bras croisés sans rien faire. Non, madame ! Comme disait ma grand-mère, la curiosité est le meilleur remède contre l’ignorance.

Je me suis installée devant mon ordinateur portable et j'ai commencé à effectuer des recherches avec l’aide de mon intelligence artificielle préférée, Google. Je cherchai d’abord « halo-lumière-bleue-covid-19-femme ». Sans succès : l’IA me proposait uniquement des sites parlant d’halos lumineux nocturnes et d’aberration sphérique chez les femmes ayant subi une chirurgie réfractive cornéenne au Lasik ou au PKR. Après plusieurs autres essais infructueux, je tapai « femme-avec-un-superpouvoir ». Et là, miracle, je tombai sur plein de sites racontant l’histoire d’une Écossaise, Joy Milne, atteinte d’hyperosmie héréditaire, c’est-à-dire d’un odorat hypersensible. Cela lui permettait de dire si une personne était atteinte de la maladie de Parkinson simplement en sentant son linge et ce, même si la personne ne présentait pas encore les symptômes de la maladie[1]. Selon elle, le linge de ces personnes possédait une odeur musquée très particulière. Vous dire l’émotion que j’ai ressentie en lisant ça : je n’étais pas la seule à posséder un superpouvoir. Cerise sur le sundae, savez-vous quel âge avait Joy au moment de la découverte de son superpouvoir ? Exactement mon âge, 72 ans. J’ai ri, j’ai ri à en faire couler mon mascara. La vie est Marvel-leuse, ai-je crié en dansant un cha-cha-cha a capella sur le plancher du salon.

Une fois l’euphorie retombée, je suis retournée lire les articles sur madame Milne.  J’appris qu’elle pouvait détecter d’autres maladies avec son super nez. Le linge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer avait, selon elle, une odeur rappelant le pain de seigle, celui des personnes atteintes de cancer sentait les champignons, et celui des personnes diabétiques le poli à ongles.

Pauvre madame Milne, me suis-je alors dit en refermant mon portable. Comme ça doit être difficile pour elle de se promener sur la rue ou au supermarché. Elle doit être surstimulée par toutes les odeurs humaines. Pis encore, elle doit avoir l’impression de violer l’intimité de ceux qui l’entourent. Moi, au moins, je ne vois que LA maladie. Quand la pandémie sera terminée, ma vue sera à nouveau normale et je n’aurai plus à me soucier que de ma petite santé.

Le 9 décembre 2020, Santé Canada autorisa le tout premier vaccin contre la covid-19, celui de Pfizer. Le 14 décembre, une première québécoise fut vaccinée. Tous les locataires de la résidence, dont bibi, le furent au début de février 2021. Au moment de me faire piquer par le jeune infirmier, je me rappelle avoir éprouvé pour la première fois le « Ça va bien aller » du gouvernement. Une à une, les consignes sanitaires allaient être abandonnées et bientôt nous allions pouvoir reprendre notre vie normale. D’autres vaccins firent leur apparition. La Science parla d’une deuxième dose, puis d’une troisième, voire d’une quatrième. Pas grave que je me suis dit. L’important est que les personnes âgées ne meurent plus de cet Alien microscopique. Je me suis aussi dit que je verrais de moins en moins de halos bleus.

C’est exactement ce qui se passa au printemps 2021. Je repris l’habitude de me promener dans les corridors, d’aller relever mon courrier ou de jaser avec des connaissances dans le grand salon. Certes, nous devions porter en tout temps un masque de procédure et appliquer souvent une solution d’alcool sur nos mains, mais ça ne nous dérangeait pas : c’était bien peu payer pour avoir à nouveau notre liberté de mouvement. Et, surtout, je ne voyais plus de halos bleus.

Bientôt, la direction annonça que nous avions maintenant droit à des visites. Seulement des membres dûment vaccinés de la famille immédiate, et seulement un ou deux à la fois. Comme le peu de parenté qui me restait demeurait au diable vauvert, je me suis contentée d’aller m’asseoir dans le hall d’entrée et de regarder les visiteurs aller et venir. Parfois, l’un d’eux m’apparaissait nimbé d’une petite lumière bleue. Pas grave que je me disais alors, ça va passer comme un gros rhume.

Finalement, la direction autorisa des sorties à l’extérieur. J’allais enfin pouvoir reprendre mes activités habituelles et oublier cette histoire de superpouvoir. Naturellement, j’avais tout faux. On ne se débarrasse pas d’un superpouvoir comme on change de robe. J’allais bientôt découvrir que, tout comme les virus, les superpouvoirs pouvaient muter, et que, contrairement aux virus, il n’existait pas de vaccin nous prémunissant contre eux !

 



[1][1] Lire l’article paru en 2022 dans le Scientific American « A supersmeller can detect the scent of Parkinson’s, leading to an experimental test for the illness”.

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