Super Colette. Chap. 5 : Braderie sur la rue Principale

 

On se serait cru en été tant le soleil nous chauffait la couenne. Pourtant, nous étions seulement à la mi-avril. Des monticules de neige subsistaient dans les racoins sombres des cours et les pelouses étaient encore jaunes. Pour bien marquer la fin de la pandémie, j’avais enfilé une robe fleurie et des escarpins blancs. Sous le bras, un cardigan en laine mérinos au cas où Galarneau déciderait d’aller faire une sieste dans un gros nuage, au cas où le suroît se mettrait à nous souffler l’air froid du lac. Le climat de Magog est si variable et si peu prévisible, qu’il vaut toujours mieux être trop vêtue que pas assez.

Raymond me rejoignit dans le hall peu après le déjeuner. Si vous aviez vu sa braverie : on aurait juré qu’il s’en allait à des noces. À ses noces ! Il avait méticuleusement repassé tous ses habits et harmonisé la ceinture avec ses souliers, la veste avec son pantalon. J’étais fière de marcher à ses côtés. Je sentais que nous allions bien profiter de notre première libération conditionnelle depuis le 13 mars 2020.

En arrivant sur la rue Principale, nous eûmes la surprise de constater que tout Magog avait eu la même idée que nous : les trottoirs grouillaient de monde. Désireux de tirer profit de l’affluence, les commerçants avaient improvisé une braderie. Ils avaient sortis leurs étals et affichaient des rabais qui nous faisaient regretter nos achats des Fêtes sur Amazon ou Shopify. La petite conversation que je comptais tenir avec Raymond au parc des Braves ne s’annonçait plus aussi tranquille que dans mon rêve. Une confidence faite devant deux cents passants n’est pas une confidence : c’est une déclaration publique ! Pas sûre que je voulais que l’univers entier sache que je voyais des halos bleus. Tant pis, fonce ma Colette. Fonce.

Rajustant mon masque de procédure, je commençai à fendre la foule, suivie par un Raymond un peu nerveux à l’idée de se trouver à moins de deux mètres de quidams au statut vaccinal inconnu. Ma destination : la boutique du Cercle des Fermières de Magog où ses membres vendaient le fruit de leur artisanat. Que du fait main local à prix très raisonnable. Confinées comme nous pendant la pandémie, les Fermières avaient beaucoup tricoté, tissé et cousu, et très peu vendu. Le choix ne manquerait pas. J’allais faire plaisir à mes yeux et alléger mon porte-monnaie.

Comme je commençais à apprécier le travail de ces dames, Raymond me fit savoir que l’artisanat avait aussi peu d’intérêt pour lui que les sports professionnels pour moi. Avisant la librairie de l’autre côté de la rue, je suggérai à Raymond d’aller reluquer les magazines pendant que je choisissais des napperons et un chemin de table. Comme il se dirigeait vers le passage piétonnier pour traverser la rue, je vis apparaître autour de son corps un petit halo de lumière bleue. Je figeai sur place. Impossible, Raymond ne pouvait pas avoir attrapé LA maladie aussi rapidement. Puis, le halo gagna en intensité à un point tel que j’en fus aveuglée. Comme Raymond allait s’engager sur le passage piétonnier, je paniquai. Je criai de toutes mes forces « Raymond ! ». Interloqués, les passants s’arrêtèrent pour me regarder. Raymond fit de même. Au même moment, une voiture passa en trombe devant lui. Si je n’avais pas hurlé, Raymond se serait avancé et aurait été violemment heurté par le chauffard. Pour le moment, il restait là sans bouger, digérant le fait que je venais de lui sauver la vie. Le halo bleu autour de son corps avait disparu.

Posant les napperons sur l’étal, j’allai rejoindre Raymond. Je le serrai dans mes bras en laissant échapper un sanglot. J’ai craint pour ta vie, lui avouai-je en séchant mes larmes. Tout ce qu’il trouva à dire, c’est « Bon sang, comment as-tu su pour l’auto ? ». Le prenant par la main, je lui dis « Allons nous asseoir au parc des Braves. Je vais tout t’expliquer. »

Nous avons trouvé un coin tranquille derrière le kiosque à musique. Les badauds étaient plus intéressés par la braderie que par le babillage des mésanges dans les lilas japonais. Je racontai toute l’histoire des halos bleus à Raymond, depuis l’homme qui était tombé raide mort de LA maladie dans le corridor jusqu’à l’incident de tout à l’heure.

Raymond m’écouta sans dire un mot. Quand j’eus terminé, il attendit un moment avant de prendre mes deux mains et de me dire ce que j’avais besoin d’entendre : « Je te crois Colette ». J’éclatai à nouveau en sanglots. Comme je cherchais des papiers-mouchoirs dans mon sac à main, il me tendit son mouchoir en coton fin parfaitement repassé. Je lâchai un faible merci avant de jouer du trombone avec mon nez.

Une fois rassérénée, je lui demandai ce que je devais faire maintenant. « Nous allons commencer par retourner à la résidence. Une fois là-bas, nous aviserons de la suite des choses. Tiens, prend mon bras et évite de regarder au loin ».

Nous sommes revenus par des petites rues tranquilles. Gardant les yeux fixés sur le sol devant moi, je laissais errer mon cerveau. Pourquoi mon superpouvoir avait-il muté ? Allait-il continuer à changer ? Devenir plus puissant ? Si oui, allai-je commencer à voir des halos bleus autour de tous les malades, de tous ceux qui risquent d’avoir un accident ?

Je sentis l’angoisse m’étreindre, mon pouls s’accélérer, ma respiration devenir difficile. Serrant le bras de Raymond comme si je voulais le casser, je suppliai le Ciel de me débarrasser de ce superpouvoir.

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