Super Colette. Chap. 4 : Raymond
Avant de vous raconter ma première sortie postpandémie, il
convient que je vous parle un peu de Raymond Quentin.
Raymond a emménagé aux Lucioles à peu près en même
temps que moi. Son épouse était décédée l’année précédente à la suite de ce que
les journaux qualifient généralement « d’une longue maladie », un bel
euphémisme pour les maladies neurodégénératives telles les démences et les
scléroses en plaques. Une fois son deuil fait, Raymond avait ressenti le besoin de sortir des quatre murs de son
logement et de voir du monde. D’où Les Lucioles.
Je le rencontrai un mardi soir dans la salle communautaire.
Je fus agréablement surprise par sa prestance et sa belle apparence. Imaginez
un homme assez grand – plus que moi en tout cas –, bien proportionné - c’est-à-dire
ni gros, ni mince -, sans barbe ni moustache, avec des cheveux poivre et sel et
des yeux pétillants couleur noisette. Nous cherchions tous deux un partenaire
pour participer à un tournoi de whist militaire. L’animatrice nous présenta
l’un à l’autre avant de nous assigner à une table où nous attendait un vieux
couple très guindé qui s’empressa de nous rappeler l’interdiction de bavarder
pendant la partie. N’ayant jamais joué ensemble auparavant, nous perdîmes rapidement
la partie. Le couple partit avec le petit drapeau de la victoire pour être
aussitôt remplacé par deux veuves joyeuses qui avaient plein de questions pour
le nouveau mâle de la résidence. Il m’a suffi d’écouter les réponses de Raymond
pour apprendre le deuil de son épouse et la raison de son déménagement. La
curiosité de ces dames leur coûta la partie. Ce fut à notre tour de changer de
table en emportant le drapeau de la victoire.
Raymond et moi terminâmes le tournoi avec une honorable
quatrième position ce qui nous valut un dîner gratuit à la cafétéria le
lendemain. Je ne savais pas si je devais l’inviter à manger avec moi.
Heureusement, il prit l’initiative de m’inviter afin de faire plus ample
connaissance. Certes, il avait remarqué que je ne parlais pas beaucoup, ma mère
m’ayant souvent répété qu’il valait mieux cacher son intelligence que de
montrer son ignorance, mais cela ne semblait pas le déranger. Je crois même
qu’il prenait mon silence pour de la timidité.
Les semaines suivantes, nous avons répété les tournois de
cartes et les diners à la cafétéria, devenant de plus en plus complices.
Comprenez-moi bien : je parle ici d’amitié et non d’amourette. Dès le
début de notre relation, je lui avais précisé être sologame. Il avait souri en
entendant ce néologisme, puis convenu que mon amitié lui suffisait largement,
ce qui m’avait valu de pousser un imperceptible soupir de soulagement.
Donc, tout allait bien jusqu’à l’arrivée d’Alien.
C’en fut alors fini des tournois de cartes et des repas à la cafétéria. Du jour
au lendemain, tous les résidents devinrent des anachorètes involontaires.
Heureusement que l’Écossais Alexander Graham Bell avait eu la bonne idée
d’inventer le téléphone il y a près de 150 ans : cela m’a permis permet de
rester en contact avec Raymond tout au long de la pandémie. Nous nous appelions
trois quatre fois par semaine pour parler de la météo, des bonnes émissions de
télé ou de radio - à l’exception des sports professionnels que j’ai toujours
abhorrés – et, à l’occasion, de jeux d’arcade comme Candy Crush et Mario Bros.
D’un commun accord, nous ne parlions jamais de LA maladie, de notre peur de
l’attraper, de ceux qui en étaient morts. Il n’a donc jamais rien su de mon
étrange pouvoir pendant le confinement.
La première fois que nous avons parlé de LA maladie, c’est
quand Santé Canada a approuvé le premier vaccin. Nous avons ensuite attendu
patiemment trois mois avant d’être vaccinés, trois longs mois avant de se
revoir en personne dans le grand salon. Sa vue fut un véritable choc pour
moi : Raymond avait beaucoup maigri, ses cheveux, maintenant tout blancs,
étaient clairsemés, son dos vouté, son pas moins sûr qu’avant la pandémie.
J’ignore si ma vue lui a fait le même effet. Si oui, il n’en laissa rien
paraître. Ses yeux étaient rieurs et son ton enjoué. J’aurais même parié qu’il
souriait derrière son masque de procédure. Malheureusement, nous n’avons pas pu
nous dire grand-chose ce jour-là. Tout le monde venait nous saluer autant pour
montrer qu’ils étaient encore en vie que pour nous féliciter (sic !) d’avoir
survécu à la Grande Pandémie.
J’estimai alors le moment venu de révéler à Raymond mon
étrange pouvoir. Presque tout le monde était vacciné. Je ne craignais plus de
voir des halos bleus. Comme je l’ai expliqué précédemment, s’il m’arrivait d’en
voir un, je me disais que son porteur aurait juste un gros rhume. Cependant, je
ne voulais pas lui dire ça au téléphone, ni devant des témoins. J’attendis donc
que la direction nous autorise à sortir de la résidence pour proposer à Raymond
d’aller se promener sur la rue Principale. Son oui fut spontané. Mon idée était
de l’amener au parc des Braves et de tout lui révéler avec les oiseaux pour
seuls témoins.
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