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Dans une unité prothétique près de chez vous

    -      Allô papa! Regarde qui je t’ai amené aujourd’hui… Le visage du paternel s’illumine à la vue de Ginette, sa conjointe depuis près de dix ans. Galant, il veut se lever pour lui céder son fauteuil berçant, mais Ginette le retient d’un bec sur le front. Reste assis Roger, lui dit-elle, je vais m’asseoir sur le lit. Comme Ginette va déposer son postérieur, elle aperçoit une paire de mules en soie rose à ses pieds. Ne vous méprenez pas : ses pieds n’étaient pas dans les mules, mais juste à côté. Kécéça ? qu’elle s’exclame! Y-a-tu une femme qui a passé la nuitte dans ton litte Roger? Ne comprenant pas la question, papa se met à bredouiller que sa cousine est venue le visiter hier soir. Quelle cousine? demande Ginette en haussant le ton. Bon sang, j’ignorais que les femmes pouvaient être encore jalouses passé 80 ans. Faut dire que nous, les Parent, sommes   beaux, fins et intelligents. Y’a donc de quoi être jalouse, même à un âge avancé. Pour rassurer Ginette, et ramener

À la recherche du chum perdu

  Un texte de Marcelle Proulx   Longtemps je me suis couchée de bonne heure. Non pas pour lire ou écrire comme mon homonyme d’outre-mer qui souffrait de quitter son lit à baldaquin, mais pour mieux réfléchir à ce que j’allais faire de mon chum. L’envoyer se promener du côté de chez Swann, sa famille biologique? Le laisser butiner à l’ombre des jeunes filles en fleurs? Ou bien le garder prisonnier entre mes cuisses? La question est d’importance car Ignace, mon chum, est toujours perdu. Et quand je dis perdu, je ne veux pas seulement dire dans ses livres, ce qui l’empêche généralement de m’accueillir quand je reviens à la maison, ou dans ses pensées, ce qui annihile depuis des lunes toute velléité libidineuse de jouer à Sodome et Gomorrhe. Je veux aussi parler des malentendus de mon peu loquace d’Ignace, et de ses oublis existentiels qui finissent par vous gâcher l’appétit quand ce n’est pas la vie ! Quelques exemples éclaireront mon propos et vous permettront, je l’espère, de me

Le volant d'autobus

    « Si l’on m’avait proposé de nommer des gens purs et sensibles, j’aurais donné des dizaines de noms, mais pas le sien. » (Extrait de Vie et Destin de Vassili Grossman) Mon père possédait un commerce d’autos usagées. Vous voyez le genre. Non? Rappelez-vous le slogan anti-Nixon de 1960: « Would you buy a used car from this man? ». Certainement pas! auriez-vous alors répondu. C’est en plein l’opinion que j’avais de mon père à douze ans. Il me faut vous dire que, depuis quelques années, mon père m’amenait travailler avec lui les samedis pour que j’apprenne la business . C’est ainsi qu’il me montra comment reculer un odomètre quand l’ancien propriétaire avait oublié de le débrancher, comment étouffer temporairement les cognements du moteur, comment patcher un silencieux percé, etc. En un mot comme en cent, papa m’a appris au fil du temps comment transformer un taxi en voiture de curé qui ne sortait pas l’hiver. Toujours est-il qu’un beau samedi d’octobre, une femme s’est pré

Ma première visite au zoo

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    C’est la fin de ma première année au collège classique, celle qu’on appelle les Éléments latins. Les Pères ont décidé d’amener au Jardin zoologique tous les élèves qui ont réussi leurs examens. Ne me demandez pas comment, mais je fais partie des heureux élus. Mon titulaire m’a dit que j’avais passé par la peau des dents. Faut dire que je n’apprends pas vite et qu’il faut m’expliquer plusieurs fois. Aujourd’hui, on me diagnostiquerait sans doute un TDAH. Mes camarades de classe, toujours prompts à se moquer des faibles, avaient posé leur propre diagnostic : j’étais une tortue. Une tortue que le collège gardait parce que mes parents étaient riches et influents. Rien de bon pour mon image. L’autobus scolaire démarre à neuf heures pile. À bord, la fête commence aussitôt avec un chant de circonstance : « Conducteur, conducteur, Dormez-vous, dormez-vous, Pesez donc su’l’ gaz, pesez donc su’l’ gaz Ça marche pas, ça marche pas! » Deux heures trente plus tard : l’autobus s’immob

Enquête dans la Petite Italie

  Mais où est donc passée Lucia, ma sorella maggiore [1] ? Ça fait 48 heures que j’attends dans son condo qu’elle revienne d’une course importante et je n’ai toujours pas de ses nouvelles. J’ai contacté son bureau, ses amis : niente [2] ! Idem pour son cellulaire. L’avocat de son ex appelle sans arrêt pour que Lucia vienne signer les papiers du divorce. Pour sa part, l’agent d’immeuble a trois offres à lui présenter pour son condo. Je comprends qu’à 32 ans ça fait beaucoup de choses à gérer, mais de là à disparaître complètement ! Vers 10 heures, coup de cellulaire. C’est notre cousine Claudia qui me rapporte que sa collègue de travail, Carlita Petrucci, affirme avoir vu Lucia avant-hier. Elle sortait de la Chiesa della Madonna della Difesa [3] au bras d’un grand Noir bien baraqué. Quoi ? Impossibile ! Le curé Mastroianni n’accepterait jamais de bénir une telle union. Non pas parce que le gars est Noir, il en a vu d’autres depuis le temps qu’il officie dans la Petite Italie, mais

Normand

    Avez-vous déjà remarqué que c’est souvent ce qu’on n’a pas qui gouverne notre existence ? Voyez par exemple Normand : un grand jeune homme de 32 ans, bien proportionné, aux cheveux… Aux cheveux absents! Oui, Normand est chauve. Oh, il lui reste bien une couronne hippocratique, mais, à l’image de Martin Matte, il préfère la raser plutôt que d’exhiber ce vestige de sa chevelure d’antan. À cet âge, la calvitie complexe drôlement son homme. Normand essaie de compenser son alopécie en allant au gym quatre fois par semaine. Malheureusement, son cerveau ne l’entend pas ainsi. Quand Normand se regarde dans un miroir, il ne voit qu’un coco de vieillard. Lui qui est 100 % hétéro se surprend parfois à regarder la chevelure des gars dans le vestiaire. Il a même déjà rêvé qu’il passait sa main dans l’une d’entre elles, ressentant oniriquement le frou-frou des boucles entre ses doigts. Il s’était réveillé en sursaut, la sueur au front, avec une bonne érection. Quand on a un complexe, on le

Station Mont-Royal

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    Bonjour, je m’appelle Maxime. J’ai 28 ans, les yeux gris et les cheveux châtain pâle. Je mesure 1m80 et pèse 78,5 kg (je surveille mon poids de très près). Je travaille comme entraîneur personnel dans un gym du centre-ville de Cône Orange . Je demeure au cœur du Plateau Mont-Royal. S’ajoutent à mes entraînements au gym, des triathlons en été et du ski de fond en hiver. Résultat : j’ai un physique très avantageux, pour ne pas dire athlétique (oui mesdames, j’assume ce que je suis). Avec un tel profil, vous pensez sans doute que je suis submergé de demandes en mariage. Détrompez-vous : la beauté masculine semble exercer un effet pernicieux sur les femmes. Celles qui m’abordent ne s’intéressent qu’à mon corps et a contrario , celles qui m’intéressent n’osent pas me parler en raison de mon physique. Hormis quelques aventures sans lendemain, je demeure célibataire. Je me rendrais bien au travail à vélo ou en Bixi™ électrique, mais je me fais un devoir d’arriver au gym frais comme