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Le monde de Charlotte. Chap. 17 : Souper chez ma soeur

            Êtes-vous du genre à lire l’horoscope en déjeunant ? Ou à consulter une voyante de temps à autre pour connaître votre avenir ? Moi pas ! Il me suffit d’écouter mon intuition, de suivre mon instinct pour savoir ce qui m’attend. Prenez, par exemple, ce client narcissique qui voulait absolument que j’aille baiser chez lui [1] ? J’ai eu raison de penser qu’il était inoffensif. Un peu trop même au vu de son silence et de son immobilisme quasi total. Cependant, comme il m’avait payé rubis sur l’ongle, je ne me suis pas plainte. Donc, va pour mon avenir personnel.           Là où ça va moins bien, c’est quand j’ai une prémonition concernant quelqu’un d’autre. Vous savez, du genre « Il conduit tellement mal, que je ne serais pas surprise qu’il ait un accident » ou « Si elle ne tient pas la rampe, elle va débouler l’escalier ». Souvent, beaucoup trop souvent, s’ensuit un accident de voiture ou une chute malheureuse. C’est pourquoi aujourd’hui je regrette amèrement ce que j’ai é

Le monde de Charlotte. Chap. 18 : Ah, ce cher Gewurzstraminer !

                  Je ne me rappelle plus qui a dit que les hommes ne comprenaient pas grand-chose aux affaires du cœur. Était-ce Madame X, Louise Deschâtelets ou Janette Bertrand ? Peu importe : l’important est que la chose est vraie. J’en veux pour preuve le comportement de ce cher Gewurztraminer après le souper de l’autre soir chez ma sœur Guylaine. Vous vous rappellerez qu’il avait perdu ses moyens en me voyant, puis qu’il m’avait fixé du regard tout le long du repas, ce qui avait allumé dans les yeux de ma sœur les braises ardentes de la jalousie. Heureusement, Julio avait été là pour me témoigner son affection et faire la conversation. Autrement, je ne suis pas sûre de la tournure qu’aurait prise la soirée.           Aussi, quelle ne fut pas ma surprise quand le surlendemain, môssieur a eu l’audace de me téléphoner. Qui c’est, a chuchoté entre mes seins un Julio encore plein de vigueur. Chut, lui ai-je répondu en ramenant le couvre-lit sur mon corps, c’est le petit copain d

Le monde de Charlotte. Chap. 19 : Révélation

                   Le printemps était enfin arrivé. Les pieds-d’âne fleurissaient, les corneilles craillaient, une première motomarine vrombissait sur le lac. Sans culpabilité aucune, je grasse-matinais dans mon lit, laissant mes pensées voguer à leur guise. S’il m’avait été facile d’oublier le petit copain de ma sœur, lequel s’adonnait malheureusement à avoir aussi été mon client, il n’en avait pas été de même pour Julio, mon bel étalon italien. Le parfait livreur de pizzas pour dames esseulées. Je rêvais encore de la fois où plongé sous la couette, il avait caressé et embrassé toutes les parties de mon corps pendant que je parlais au téléphone avec ma sœur. Heureusement, il avait été assez gentleman pour attendre que j’aie terminé mon appel avant de… Dring ! Dring !                Ah non, pas maintenant. S’il vous plait. J’allonge le bras et saisis mon nouvel iPhone, modèle 369 à écran pliable de 17 cm. C’est ma sœur ! Je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis sa séparation d’avec

Les enquêtes du concierge. Chap. 1 : Homme à tout faire, ou presque

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    Je m’appelle Bertrand Pivot. Grâce à mes quatre années d’études en histoire de l’art à l’UQAM, j’ai le privilège d’occuper un emploi stable, bien rémunéré et, fait non-négligeable, gratifiant. Depuis quinze ans, je suis concierge dans la résidence pour personnes âgées Les Lucioles , une RPA comme disent les fonctionnaires. Cela vous donne une idée de mon âge, 42 ans, mais non de mon physique que seules ma mère et quelques résidentes trouvent avantageux. Imaginez un homme de taille moyenne, à la barbe grise négligée, presque chauve, avec d’épaisses lunettes de myope et un surplus de poids concentré au niveau du ventre : vous aurez une bonne idée du profil que je n’ai jamais osé afficher sur Tinder. Par conséquent, je suis un célibataire que jadis on qualifiait d’endurci (sic!) et qu’on appelle maintenant un incel , pour « célibataire involontaire » (re-sic!). La résidence compte plus de cent cinquante locataires âgés en moyenne de quatre-vingts ans. Par conséquent, je ne manque

Les enquêtes du concierge. Chap. 2 : L'alliance de madame Poitras

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  Enfin ! J’avais fini de déménager les affaires et les effets de monsieur Norbert Marquis dans l’entrepôt du sous-sol de la résidence. Je pouvais à nouveau vaquer à mes tâches régulières de concierge. C’est ainsi que je m’apprêtais à laver le plancher du hall d’entrée quand une auto de police se gara devant le débarcadère. Deux jeunes policières, plutôt accortes, en descendirent. En me voyant, serpillière à la main, elles ont tout de suite compris que je n’étais pas le directeur de l’institution. Elles m’ont quand même demandé de les diriger vers l’appartement 483, ce que je m’empressai de faire non sans leur demander, chemin faisant, ce qu’elles allaient faire chez sa locataire, madame Yvonne Poitras, une octogénaire en pleine forme. Une simple histoire de vol à domicile, me répondirent-elles, ajoutant qu’elles venaient recueillir la déposition de la dame. Notre arrivée mit madame Poitras dans tous ses états : elle pleura et trembla en leur montrant son coffret à bijoux avec, au

Les enquêtes du concierge. Chap. 3 : L'auto de madame Beaugrand

    Excusez-moi, je suis allé récupérer ma serpillière qu’une âme bien intentionnée avait rangée derrière le bureau de la réception. Je vous disais donc que depuis l’affaire de l’alliance de madame Poitras [1] , tout et chacun vient me voir pour que je retrouve un bien perdu. En bon concierge qui recherche avant tout la tranquillité, j’ai vite appris à me défiler. Comme monsieur Gilles Therrien (appartement 544) est un agent de police retraité de la ville de Laval, je lui ai demandé de m’assister dans mes enquêtes. Il a accepté avec le plus grand plaisir de reprendre du service et même, ce fut son dire, de me servir de force constabulaire si nécessaire. C’est lui qui a retrouvé en un rien de temps le missel de la religieuse sous les partitions posées sur le piano du salon et le béret de M. Gauthier sur la patère de sa partenaire de pichenottes. Monsieur Therrien n’avait de toute évidence rien perdu de son flair légendaire. Aussi, l’autre matin, je fus un peu surpris de le voir entr

Les enquêtes du concierge. Chap. 4 : Mon sac à main, attends que je t'attrape !

    L’histoire que je m’apprête à vous raconter est toute simple, mais elle illustre à merveille le quotidien de la résidence pour personnes âgées où je travaille. Il vous faut savoir que le bâtiment a la forme d’un U géant ouvert sur le nord-ouest, ce qui permet aux personnes qui fréquentent la cour intérieure d’être à l’abri du vent et de se tenir ou non au soleil selon la température et leur bon vouloir. Au centre de la cour se trouvent des allées de pétanque et de shuffleboard. Le long des murs sont alignées des balançoires à quatre-places où, dès que le temps le permet, les résidents aiment se donner rendez-vous pour jaser, tricoter, jouer aux cartes ou, tout simplement, pour observer le va-et-vient dans la cour. L’endroit est si populaire que, par beau temps, il faut soit arriver très tôt pour avoir une place dans une balançoire, soit demander à quelqu’un de nous garder une place. Toujours est-il qu’un beau matin de juin, monsieur Roger Coulombe (appartement 515) s’est présen