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Le monde de Charlotte. Chap. 3 : Desmond

Hier, un homme est venu sonner à ma porte. Son âge? À peu près cinquante ans. Son physique ? Comme j’aime à dire, une belle pièce d’homme : grand, musclé, la barbe fournie et les yeux anthracite. Malheureusement, sa beauté s’arrêtait là. L’homme était mal habillé et ses vêtements, très sales, empestaient le bois brûlé, la sueur séchée et, disons-le franchement, l’urine. J’ai aussitôt ressenti une bizarre de sensation : une attirance instinctive et, en même temps, une crainte de bouger. Cet homme me rappelait quelqu’un, mais qui ? Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Bonjour, c’est moi m’a-t-il lancé tout de go. Qui ça « moi », me suis-je demandé intérieurement ? Desmond, ton père, a-t-il repris en se rappelant soudainement que ça faisait plus de vingt-cinq ans que je ne l’avais vu. Puis, il a attendu patiemment que je l’invite à entrer pour rattraper le temps perdu. J’ai accusé le coup. Durement. Je me suis demandé ce que ma mère aurait fait à ma place. L’aurait-elle fai

Le monde de Charlotte. Chap. 4 : Je me fous du monde entier

            Je crois vous avoir déjà dit que j’avais quelques clients très fidèles. L’un d’eux est plein de petites attentions pour moi. Je vous dirais bien son nom, mais je me dois de rester discrète au nom du secret professionnel. Sachez seulement que son prénom rime avec sympathique et romantique.           Mardi dernier, c’était la Saint-Valentin. Après avoir diné avec sa femme et ses enfants, il est venu me porter une boîte de chocolats. Pas de ces ersatz synthétiques emballés dans une boîte cordiforme en plastique rouge estampillée made in China . Non madame ! Il m’a apporté deux douzaines de pralines belges au chocolat noir de Madagascar savamment disposées dans les esses d’un violon en chocolat marbré, le tout préparé par monsieur Vanden Eynden, le grand chocolatier de Magog. J’en suis restée pantoise.           Pour le remercier, je lui ai offert un verre du Gewurztraminer bien frais qu’un jeune client, encore peu sûr de ses moyens, m’avait rapporté d’Alsace l’été derni

Le monde de Charlotte. Chap. 5 : Mon oncle Édouard

             Je ne crois pas vous avoir déjà parlé de mon oncle Édouard, le frère de ma mère. Autrement, vous vous en rappelleriez sûrement. C’était le genre d’homme qui ne s’oublie pas facilement. Vieux garçon, comme on disait à l’époque, il a vécu avec ses parents jusqu’à leur mort, puis seul jusqu’à son décès à 82 ans.           Le dimanche, nous avions l’habitude de rendre visite aux parents de ma mère. Si par malheur mon oncle était présent, je passais un mauvais quart d’heure. Instituteur dans une école primaire, il se comportait alors avec moi comme si j’étais une de ses élèves. Il m’interrogeait sur mon bulletin, mon attitude en classe, etc. Il en profitait aussi pour me reprocher mes cheveux indisciplinés – pour l’amour du Bon Dieu, coupe-les ou fais-toi des tresses, disait-il -, ou ma tenue pas assez chrétienne à son goût. Heureusement, Édouard enseignait dans une autre paroisse. J’aurais détesté être dans sa classe tant il était désagréable.           J’ai eu droit à u

Le monde de Charlotte. Chap. 6 : J'adore magasiner

             J’adore magasiner au centre commercial. Voir tout ce que notre société de consommation a de nouveau à me proposer : des bijoux, des produits informatiques, des meubles, des accessoires de maison, des vêtements, etc. Le tout à vingt degrés Celsius et à l’abri des intempéries.           Je me sens importante quand, à mon arrivée dans une boutique, une vendeuse ou un associé vient me saluer et offrir son aide. Vous savez, du genre « Bonjour, est-ce que je peux vous aider? » ou « Cherchez-vous quelque chose en particulier? » ou, mon préféré « Aujourd’hui, tous nos produits saisonniers sont à 50% de rabais. ». Je suis très sensible à la façon dont on m’accueille et me traite. Sans doute une contrepartie de mon métier de marie-couche-toi-là.           Les boutiques de vêtements pour dames sont mes préférées. À la vue des nouveaux modèles, je me mets à rêver de devenir une autre femme, si possible plus séduisante. Aussi, quand on me dit « Les cabines d’essayage sont au fond

Le monde de Charlotte. Chap. 7 : Ma copine Cécile

             Ma copine Cécile a profité du récent congé scolaire pour venir me rendre visite. Il vous faut savoir qu’elle demeure à Coaticook depuis qu’elle s’est mise en couple avec Charles Chartier, un éleveur de charolaises du coin, lequel lui a conçu coup sur coup cinq petits chenapans. Donc, beaucoup de chemin - et de carburant - pour se rendre ici, sur la rue Champlain à Chicoutimi.           À chaque fois que nous nous voyons, nous retombons en enfance à Côte-des-Neiges. Pas du temps où nous étions aux couches - je ne connaissais pas Cécile à ce moment-là - . Plus au début de l’adolescence alors que nous fréquentions toutes deux le même groupe de catéchèse. Elle, pour préparer sa confirmation. Moi, pour fréquenter les servants de messe, d’abord par curiosité puis rapidement par concupiscence. Eh oui ! La chose m’intéressait déjà à ce bel âge qui se caractérise par l’innocence… des parents.           Elle m’a demandé si j’avais toujours Carcajou, mon chien corgi carotte

Le monde de Charlotte. Chap. 8 : Grand-maman Gauthier

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             À la mort de maman, j’avais à peine seize ans. Comme mon père était disparu dans le décor sans laisser d’adresse, c’est ma grand-mère Gauthier, la mère de maman, qui a hérité de ma garde. J’ai donc fait ma petite valise et pris le train pour… Saint-Camille-des-Piles, un trou perdu en Haute-Mauricie. Qu’est-ce qu’il y avait de remarquable dans ce village qui comptait moins de 800 âmes à l’époque ? Rien, absolument rien sinon que le flottage du bois sur le Saint-Maurice avait débuté tout près de là en 1846 et qu’il s’y était arrêté en 1996. Tout comme le Temps d’ailleurs.           Cela dit, laissez-moi vous décrire un peu l’endroit où j’allais compléter mon adolescence loin de tous les plaisirs de la grande ville. Saint-Camille-des-Piles est traversé par la voie ferrée et une seule rue qui, naturellement, s’appelle la Principale. De part et d’autre de cette rue partent des chemins, forestiers vers l’ouest, sablonneux vers le bord de la rivière. Au centre du village, l’é

Le monde de Charlotte. Chap. 9 : Sœurette

            Ma sœur Guylaine envie ma vie aisée. Elle m’envie d’avoir eu autant d’hommes dans mon lit, elle qui attend encore qu’un premier amant dépose ses chaussures au pied de son lit. Ne jamais avoir été désirée semble avoir desséché son cœur, fané sa fleur de l’âge.           J’ignore si c’est le ressentiment qui lui fait dire ça, mais elle me répète sans cesse que je l’ai facile. Je sens comme un reproche dans sa voix quand elle le dit. Pauvre sœurette : elle ne voit pas, ou plutôt ne veut pas voir tous les efforts que je dois faire pour satisfaire mes clients, tous les désagréments que je dois endurer : les odeurs désagréables, la lubricité, la laideur sans compter l’humiliation d’être constamment traitée comme une Marie-couche-toi-là.           J’aimerais pouvoir répondre à Guylaine qu’elle ne voit que ce qu’elle n’a pas, mais je me retiens par crainte de perdre le dernier membre de ma famille. Je conviens plutôt avec elle qu’il existe effectivement des femmes qui l’ont b