Le monde de Charlotte. Chap. 4 : Je me fous du monde entier
Je crois vous avoir déjà dit que j’avais quelques clients
très fidèles. L’un d’eux est plein de petites attentions pour moi. Je vous
dirais bien son nom, mais je me dois de rester discrète au nom du secret
professionnel. Sachez seulement que son prénom rime avec sympathique et
romantique.
Mardi dernier, c’était la Saint-Valentin. Après avoir diné
avec sa femme et ses enfants, il est venu me porter une boîte de chocolats. Pas
de ces ersatz synthétiques emballés dans une boîte cordiforme en plastique
rouge estampillée made in China. Non madame ! Il m’a apporté deux
douzaines de pralines belges au chocolat noir de Madagascar savamment disposées
dans les esses d’un violon en chocolat marbré, le tout préparé par monsieur
Vanden Eynden, le grand chocolatier de Magog. J’en suis restée pantoise.
Pour le remercier, je lui ai offert un verre du Gewurztraminer
bien frais qu’un jeune client, encore peu sûr de ses moyens, m’avait rapporté
d’Alsace l’été dernier. Assis côte à côte sur le canapé, nous avons savouré
lentement quelques-uns de ces péchés mignons. Un moment, j’ai pensé mettre de
la musique pour égayer l’atmosphère, puis je me suis ravisée : je
préférais écouter sa voix basse et suave me dire combien il me trouvait belle,
combien il se sentait bien en ma présence. Il y avait si longtemps qu’un homme
ne m’avait révélé ses sentiments, si longtemps qu’un homme n’avait eu l’idée de
fêter la Saint-Valentin avec moi. Une grosse boule d’émotion s’est mise à
remonter dans mon gorgoton.
Comme je sentais que j’allais me mettre à chialer, j’ai
décidé de faire diversion : je lui ai proposé de terminer notre coupe de
vin au lit. Plutôt que de me suivre, il m’a tendrement pris les mains et m’a susurré :
« Pas ce soir, Charlotte. C’est la Saint-Valentin et je veux juste parler
avec toi comme si nous étions de vieux amants. » C’est à ce moment-là que
j’ai éclaté en sanglots. En parfait gentleman, il a essuyé mes larmes puis m’a
serrée dans ses bras jusqu’à ce que j’aie retrouvé ma paix intérieure.
Inutile de vous dire que j’ai passé la plus merveilleuse des
Saint-Valentin. À mes yeux de femme trop souvent traitée comme un
papier mouchoir, ce client est le sosie de Richard Gere dans le film Pretty
Woman. Parfois le jour, quand je pense à lui, je deviens un bruant à gorge
blanche : je déambule de pièce en pièce en chantant : « Où
es-tu Frédéric, Frédéric… ».
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