Le monde de Charlotte. Chap. 14 : Les fleurs de la colère
Comme tout le
monde, j’aime recevoir des cadeaux.
Si possible un
bijou, sinon des chocolats belges[1].
Cependant, il en
est un que j’ai en horreur
C’est celui de
recevoir des fleurs.
Certes, j’aime
leur beauté, leur parfum,
Mais leur langage
est trop complexe pour moi.
Trop de symboles
leur sont associés.
Par exemple,
prenez l’humble coquelicot.
On me l’offre à
chaque automne non pour fêter les moissons,
Mais pour me
rappeler les deux grandes boucheries.
Aussi, que dire
de la rose, véritable déclaration d’un amour
Qui, si j’en
crois la chanson, ne dure qu’un moment.
Que dire de
l’œillet rouge sang pour le mariage,
De l’orchidée
blanc virginal pour le bal de graduation,
Du chrysanthème
jaune soleil pour le salon funéraire ?
La fleur que je
déteste le plus est certainement le pétunia.
Cette proche
parente du tabac aux allures très modestes
Est une véritable
déclaration de colère, si ce n’est de guerre.
Surtout quand
c’est ma sœur qui m’en envoie un bouquet.
Il git
présentement sur ma table de cuisine
Avec, en guise de
pierre tombale, un carton blanc
Sur lequel, d’une
main assurée, la Sybille a écrit :
« Je pense à
toi, Guylaine ».
Le fleuriste a dû
trouver la pensée si gentille
Qu’il en a
excusé l’ignorance de sa cliente.
Ce n’est pas mon
cas. Je ne connais que trop Guylaine
Pour plaider en
son nom l’innocence.
Elle me reproche
quelque chose, c’est sûr, mais quoi ?
Une remarque
malheureuse, un oubli, un impair?
Se pourrait-il
même qu’elle me reproche d’être sa sœur?
L’important est
que je ne présume pas de la cause.
Car je pourrais
alors m’excuser pour la mauvaise raison.
Il vaut mieux que
je lui téléphone pour la remercier
De l’attention et
prendre de ses nouvelles.
Ainsi, elle aura
la chance de me révéler la raison des pétunias
Et moi, celle de
régler notre différend.
Car, malgré tout
ce qu’elle peut dire ou faire,
Ma sœur reste
quelqu’un de très précieux pour moi.
Pour rien au
monde, je ne voudrais la perdre.
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