Le monde de Charlotte. Chap. 6 : J'adore magasiner

  

        J’adore magasiner au centre commercial. Voir tout ce que notre société de consommation a de nouveau à me proposer : des bijoux, des produits informatiques, des meubles, des accessoires de maison, des vêtements, etc. Le tout à vingt degrés Celsius et à l’abri des intempéries.

        Je me sens importante quand, à mon arrivée dans une boutique, une vendeuse ou un associé vient me saluer et offrir son aide. Vous savez, du genre « Bonjour, est-ce que je peux vous aider? » ou « Cherchez-vous quelque chose en particulier? » ou, mon préféré « Aujourd’hui, tous nos produits saisonniers sont à 50% de rabais. ». Je suis très sensible à la façon dont on m’accueille et me traite. Sans doute une contrepartie de mon métier de marie-couche-toi-là.

        Les boutiques de vêtements pour dames sont mes préférées. À la vue des nouveaux modèles, je me mets à rêver de devenir une autre femme, si possible plus séduisante. Aussi, quand on me dit « Les cabines d’essayage sont au fond à gauche si vous voulez faire plaisir à vos yeux », je saute sur l’occasion. J’essaie tout ce qui me tente, parade devant le miroir en sollicitant l’opinion de l’employé du magasin. S’il s’agit d’un homme d’âge mûr et qu’il me dit que le vêtement me sied à merveille, alors je prends sans discuter. Souvent même, sans regarder le prix. À cet égard, j’ai un ami qui choisit d’abord sa vendeuse avant de choisir ses vêtements, car, s’il peut jauger une femme d’un simple coup d’œil, il est absolument incapable d’évaluer l’image que le miroir renvoie de lui-même. Par conséquent, il nous est impossible, à lui et à moi, d’acheter du linge sur l’Internet. Il faut qu’une personne avertie, à défaut d’être désintéressée, nous donne son opinion ou nous propose ce qu'elle estime nous convenir le mieux.

        Quand j’estime avoir terminé mon « shopping », comme disent les Français, je retourne à l’auto porter tous mes sacs sauf un. Ensuite, je reviens à l’intérieur pour à nouveau faire plaisir à mes yeux, cette fois-ci d’une façon différente. Je vais à l’aire de restauration rapide me commander un repas puis je m’installe confortablement au milieu des tables pour regarder les gens déambuler, manger, jaser et, c’est là l’objectif, me faire voir. En termes sportifs, c’est ce que j’appelle jeter ma ligne à l’eau. Si l’homme qui me regarde est d’un certain âge, seul et bien habillé, alors je commence à ramener ma ligne tout doucement en lui jetant des regards de temps à autre avec un léger sourire interrogateur qui peut être interprété comme un « Bonjour, est-ce que je vous connais? ». C’est la partie la plus délicate du jeu : si j’en fais trop, le prospect va se rebiffer et quitter, si je n’en fais pas assez, il va me croire indifférente et passer à autre chose. Je dois donc user de patience et de doigté. Si tout se passe bien, l’homme se lève et vient répondre à mon sourire interrogateur : « Bonjour, je crois qu’on se connait ». Je réponds alors « Moi aussi, mais je n’arrive pas à me rappeler quand ni où je vous ai rencontré ». L’entrée en matière est toute simple et n’engage en rien, ce qui rassure mon prospect et me permet de l’inviter à s’asseoir. Après un échange de questions et réponses où je me montre de plus en plus intéressée et lui de plus en plus excité, arrive le moment crucial où je dois aborder la question monétaire. Encore une fois, tout est dans la façon. Il ne faut pas que je passe pour une vulgaire prostituée - je risquerais d’ailleurs d’être arrêtée à ce moment-là – ni comme une femme en manque d’affection dont on peut abuser gratuitement. Je lui avoue donc franchement éprouver momentanément des ennuis financiers et que s’il pouvait m’aider, je lui en serais très redevable. À ce stade, inutile d’ajouter une œillade ou une quelconque allusion sexuelle : je dois laisser mon prospect livrer son combat intérieur. Si son gros cerveau l’emporte, il quitte en maugréant contre les femmes qui ne pensent qu’à l’argent. Si c’est celui entre les jambes qui gagne, il suggère un montant. S’il est trop bas, je fais mine de me lever pour forcer une nouvelle offre. Parfois ça marche, parfois non. Enfin, si la nouvelle offre est juste en-dessous de mon tarif habituel, je m’en contente, confiante que mes bons services vont me valoir un généreux pourboire. Le reste se passe dans mon appartement, à deux pas du centre d’achats. Jamais chez lui pour des raisons évidentes de sécurité.

        À ce jeu, je ne suis jamais perdante. Si mon prospect me suit, je gagne mon salaire. Si je reviens bredouille, je me console avec mes achats. À date, c’est la meilleure façon que j’ai trouvée de recruter mes clients. Tout comme pour mes vêtements, je répugne à faire de la sollicitation sur l’Internet. Trop difficile d’évaluer si le client me convient, s’il est sain d’esprit, s’il est capable de payer. De plus, quoiqu’en disent les GAFA de ce monde, l’Internet laisse des traces et ça, je n’en veux pas!  Les autres lieux publics, comme la rue (Ouache!) et les bars (Hic!), non merci pour moi. Tout comme le pêcheur a ses spots pour la truite ou le doré, moi j’ai le mien pour les argentés. Ça tombe bien : j’adore magasiner.

 

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