Le monde de Charlotte. Chap. 2 : Les Môssieurs
Finalement, X a été très satisfait de mes services. Si bien
qu’il m’a laissé un généreux pourboire et, surtout, promis de revenir me voir
dès que possible. Je n’ai pas osé lui dire que c’était là la moindre des choses
vu tout le cœur que j’avais mis à l’ouvrage.
Malheureusement tous mes clients ne sont pas aussi gentlemen
que X. Certains refusent de payer un supplément pour le costume ou les
finitions, tandis que d’autres s’imaginent qu’en plus des jambes, j’ai les
oreilles grand ouvertes pour le récit de leur vie. Ceux-là confondent
définitivement logorrhée et gonorrhée. Mais les pires, je vous le dis tout de
go, les pires ce sont ceux qui méprisent ma condition tout en ne pouvant se
passer de mes services. Ceux-là me regardent de haut et, très souvent, me
demandent de leur donner du Môssieur, quand ce n’est pas du Maître ou du
Professeur. Je vous le dis, un fois dans mon lit, certains se prennent pour le
frère de Louis XIV. Pourtant à ce que je me souvienne, Monsieur n’était pas
très porté sur la chose féminine sauf pour les robes que, parait-il, il portait
fort bien.
Mais, je m’égare. Revenons à mes bouffis d’orgueil. Pas
question pour eux d’adopter une position autre que celle du missionnaire :
ils ressentent un besoin impératif de me baiser de haut. Un peu plus et ils me
diraient que je suis chanceuse de les avoir dans mon lit. J’en ai même connu un
qui apportait sa propre literie : Môssieur ne baisait que dans des
draps en satin bleu royal. Vous conviendrez avec moi qu’il avait un sérieux
problème d’égo.
Il n’y a qu’une façon de parler aux Môssieurs de leur
virilité : celle d’Edmond Rostand dans Cyrano de Bergerac. « C’est un
roc… c’est un pic… c’est un cap! Que dis-je, c’est un cap?... C’est une
péninsule! » Quand je les alexandrine ainsi, je peux quasiment les
entendre roucouler de plaisir. Si vous voulez mon opinion, les orgueilleux sont
de superbes naïfs! Donc, si jamais l’envie vous prend un jour de rendre la
monnaie de sa pièce à un paon, utilisez mon truc et louangez son plumage de
façon exagérée. Il deviendra doux comme un agneau et mangera dans votre main.
Vous ne serez pas étonné d’apprendre que la plupart de mes Môssieurs
vivent seuls. Après tout, quelle femme serait assez sotte pour confondre amour
et mépris? Moi au moins, je les fais payer pour me rabaisser. Et, à la
différence d’une épouse, je les renvoie dare-dare à leur solitude dès qu’ils
sont venus. Un avantage indéniable de ma pratique.
Parlant de pratique, je viens tout juste de terminer ma
comptabilité pour l’année écoulée. Cela me permet d’estimer que les Môssieurs
constituent plus de la moitié de mon chiffre d’affaires. Hum! A bien y penser,
je me demande ce que je ferais sans eux.
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