Le monde de Charlotte. Chap. 12 : Pour qui sonne le verglas
Le verglas de la semaine dernière vous a sans doute rappelé
celui de 1998. Pour ma part, il a ravivé un tout autre souvenir. C’était au
début de ma pratique. Un jour, j’ai reçu l’appel d’un client qui voulait
absolument que j’aille chez lui. Généralement, je refuse de me déplacer pour
des raisons de sécurité. Mais cette fois-là, je me suis laissé convaincre par
l’argent. La porte sera débarrée, tu auras juste à entrer et venir directement
dans ma chambre, me dit-il le souffle un peu court, avant de raccrocher
brusquement.
Le jour dit, quelque vingt-quatre millimètres de pluie
verglaçante se déversent sur la ville rendant trottoirs et chaussée quasiment
impraticables malgré l’épandage d’abrasifs. De peine et de misère, je
parviens à me rendre chez mon client. La porte est effectivement déverrouillée.
J’entre. Toutes les lumières sont éteintes : seuls de gros lampions
d’église éclairent le chemin à suivre pour gagner la chambre. Là, je découvre
une autre série de lampions formant un cercle de petites flammes jaunes autour
d’un grand lit drapé de satin rouge sur lequel repose un des plus beaux hommes
qu’il m’ait été donné de voir dans ma vie. Mon client est un magnifique Adonis
d’une trentaine d’années, arborant de longs cheveux bruns bouclés, des muscles
découpés au couteau et… Je vous laisse imaginer le reste. En me voyant, il se
fend d’un large sourire et m’invite de la main à le rejoindre. Ce que je fais
séance tenante en laissant choir au sol un à un mes oripeaux.
Je crois bien que c’est à ce moment-là que j’ai remarqué
les miroirs. Deux grandes portes-miroirs sur le côté, ouvrant sans doute sur la
garde-robe de monsieur, et un autre suspendu au plafond au-dessus du lit.
Excitée par la mise en scène et la beauté de mon client, je me mets rapidement
à l’ouvrage. Malheureusement, mon excitation retombe aussi vite qu’elle a
surgi : mon Adonis est en fait un Narcisse. Immobile comme le marbre
éponyme du Louvre, il se regarde dans les miroirs faire l’amour avec moi. Aucun
baiser, aucune caresse, pas même un mot doux de sa part. Heureusement qu’il
m’avait grassement payée sinon, je crois bien que je l’aurais giflé de la plus
belle façon.
En professionnelle que je suis, j’ai alors imaginé que je
faisais l’amour avec une poupée gonflable pour dames et ne me suis plus occupée
que de mon plaisir. J’ai joui très bruyamment, ce qui a beaucoup plu à
monsieur. Rassuré sur son charme sensuel (sic!), il m’a versé un généreux
pourboire et juré de me rappeler bientôt. Il l’a fait (me rappeler), mais moi,
je ne l’ai jamais refait (baiser avec lui).
Tel est le souvenir verglacé qui m’est revenu
en mémoire la semaine dernière.
Verglas à Montréal (Source : lepoint.fr) |
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