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Gourmandise littéraire

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             La légende raconte que j’ai commencé à lire dès que j’ai été en âge de parler. C’est complètement faux : je ne parlais pas encore quand j’ai lu mes premières bandes dessinées ( Martin le malin , un coureur automobile, et Tintin , un reporter sans frontières).           Puis, quand j’ai eu l’âge de raison, je me suis mis à dévorer les Bob Morane d’Henri Verne et les voyages autour du monde de Jules Verne. Les gros tomes de cape et d’épée d’Alexandre Dumas ont suivi peu après.           Rapidement, je fus reconnu comme un bibliovore. Aussi quand j’ai eu dix-huit ans, ma marraine a littéralement vidé son bas de laine pour m’offrir la collection complète des prix Nobel de littérature (1901-1968). La reliure de ces livres était extraordinaire : format A4, papier épais doré sur tranche et, luxe suprême, couverture en cuir blanc. Malheureusement, je suis déménagé très souvent par la suite. Les livres restaient dans des boîtes qui encombraient mon espace de rangement. Je me

Les Chipotlés des îles Charlotte

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             Les Chipotlés des îles Charlotte au Manitoba ont de curieuses coutumes. La plus étonnante est sans doute leur pratique de la polyandrie. Cela permet au Canada de faire partie du club très sélect des huit pays où les femmes peuvent épouser plusieurs hommes [1] . Selon l’ethnologue émérite Harvey Weinstein, la polyandrie expliquerait le déclin actuel des Chipotlés et, de façon plus générale, la répugnance du Canada à s’armer.           Un homme marié se reconnait facilement au bracelet en cuir qu’il porte au poignet gauche. Le dessin sur le bracelet identifie son épouse. Le même dessin est d’ailleurs reproduit sur la porte de la maison familiale. Ainsi, il est facile pour un étranger d’identifier les différents harems du village.           Chez les Chipotlés, c’est la femme qui choisit son mari et non l’inverse. Quand une femme veut se marier, elle confectionne un bracelet qu’elle va ensuite offrir à l’heureux élu qui s’empresse de l’attacher à son poignet. Il arbore e

Le monde de Charlotte. Chap. 1 : Je m'appelle Charlotte

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  Je m'appelle Charlotte, pis j’aime les carottes! Je les ai toujours aimées. Quand j’étais toute petite, maman n’avait même pas besoin de faire l’avion avec la cuillérée de purée pour que j’ouvre tout grand la porte du hangar. À bien y penser, c’est peut-être pour ça que j’ai plein de taches de rousseur.   Vous me demandez mon âge, monsieur? Ne savez-vous pas qu’il est impoli de poser cette question à une dame et ce, peu importe sa qualité? Qu’il vous suffise de savoir que j’ai l’âge de vous accueillir dans mon lit. Je vous dirai même que j’ai l’âge des folies et que d’en faire, jamais je ne me prive. J’aime rire, m’amuser. En toute confidence, je vous dirai que j’aime tous les plaisirs, même les défendus. Surtout les défendus! Certes, je suis une femme de petite vertu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous êtes venu ici. Cependant, sachez que je suis aussi une femme de passions capiteuses. Tout comme les Mini-Wheats de Kellogg, j’ai un côté givré et un côté sérieux.

Le monde de Charlotte. Chap. 2 : Les Môssieurs

            Finalement, X a été très satisfait de mes services. Si bien qu’il m’a laissé un généreux pourboire et, surtout, promis de revenir me voir dès que possible. Je n’ai pas osé lui dire que c’était là la moindre des choses vu tout le cœur que j’avais mis à l’ouvrage.           Malheureusement tous mes clients ne sont pas aussi gentlemen que X. Certains refusent de payer un supplément pour le costume ou les finitions, tandis que d’autres s’imaginent qu’en plus des jambes, j’ai les oreilles grand ouvertes pour le récit de leur vie. Ceux-là confondent définitivement logorrhée et gonorrhée. Mais les pires, je vous le dis tout de go, les pires ce sont ceux qui méprisent ma condition tout en ne pouvant se passer de mes services. Ceux-là me regardent de haut et, très souvent, me demandent de leur donner du Môssieur, quand ce n’est pas du Maître ou du Professeur. Je vous le dis, un fois dans mon lit, certains se prennent pour le frère de Louis XIV. Pourtant à ce que je me souvienne

Le monde de Charlotte. Chap. 3 : Desmond

Hier, un homme est venu sonner à ma porte. Son âge? À peu près cinquante ans. Son physique ? Comme j’aime à dire, une belle pièce d’homme : grand, musclé, la barbe fournie et les yeux anthracite. Malheureusement, sa beauté s’arrêtait là. L’homme était mal habillé et ses vêtements, très sales, empestaient le bois brûlé, la sueur séchée et, disons-le franchement, l’urine. J’ai aussitôt ressenti une bizarre de sensation : une attirance instinctive et, en même temps, une crainte de bouger. Cet homme me rappelait quelqu’un, mais qui ? Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Bonjour, c’est moi m’a-t-il lancé tout de go. Qui ça « moi », me suis-je demandé intérieurement ? Desmond, ton père, a-t-il repris en se rappelant soudainement que ça faisait plus de vingt-cinq ans que je ne l’avais vu. Puis, il a attendu patiemment que je l’invite à entrer pour rattraper le temps perdu. J’ai accusé le coup. Durement. Je me suis demandé ce que ma mère aurait fait à ma place. L’aurait-elle fai

Le monde de Charlotte. Chap. 4 : Je me fous du monde entier

            Je crois vous avoir déjà dit que j’avais quelques clients très fidèles. L’un d’eux est plein de petites attentions pour moi. Je vous dirais bien son nom, mais je me dois de rester discrète au nom du secret professionnel. Sachez seulement que son prénom rime avec sympathique et romantique.           Mardi dernier, c’était la Saint-Valentin. Après avoir diné avec sa femme et ses enfants, il est venu me porter une boîte de chocolats. Pas de ces ersatz synthétiques emballés dans une boîte cordiforme en plastique rouge estampillée made in China . Non madame ! Il m’a apporté deux douzaines de pralines belges au chocolat noir de Madagascar savamment disposées dans les esses d’un violon en chocolat marbré, le tout préparé par monsieur Vanden Eynden, le grand chocolatier de Magog. J’en suis restée pantoise.           Pour le remercier, je lui ai offert un verre du Gewurztraminer bien frais qu’un jeune client, encore peu sûr de ses moyens, m’avait rapporté d’Alsace l’été derni

Le monde de Charlotte. Chap. 5 : Mon oncle Édouard

             Je ne crois pas vous avoir déjà parlé de mon oncle Édouard, le frère de ma mère. Autrement, vous vous en rappelleriez sûrement. C’était le genre d’homme qui ne s’oublie pas facilement. Vieux garçon, comme on disait à l’époque, il a vécu avec ses parents jusqu’à leur mort, puis seul jusqu’à son décès à 82 ans.           Le dimanche, nous avions l’habitude de rendre visite aux parents de ma mère. Si par malheur mon oncle était présent, je passais un mauvais quart d’heure. Instituteur dans une école primaire, il se comportait alors avec moi comme si j’étais une de ses élèves. Il m’interrogeait sur mon bulletin, mon attitude en classe, etc. Il en profitait aussi pour me reprocher mes cheveux indisciplinés – pour l’amour du Bon Dieu, coupe-les ou fais-toi des tresses, disait-il -, ou ma tenue pas assez chrétienne à son goût. Heureusement, Édouard enseignait dans une autre paroisse. J’aurais détesté être dans sa classe tant il était désagréable.           J’ai eu droit à u